La classe inversée : une pédagogie renversante?

Sans aucun doute, avez-vous entendu parler dernièrement des classes inversées ou "flipped classroom".  Qu'en est-il concrètement? Normand Roy propose dans ce numéro un portrait de ce que peut impliquer la pratique de cette approche dans un contexte d'enseignement universitaire.  Il restera à voir si vous tenterez ou non l'expérience.

Mise en situation

Pierre enseigne le cours de chimie analytique à l’université depuis déjà 20 ans. Bien que les cours magistraux suivis d’un laboratoire ont toujours été la norme dans son domaine, il souhaiterait pouvoir profiter davantage du temps avec ses étudiants pour réaliser plus d’exercices et pour exploiter davantage les laboratoires.

En cherchant des idées sur Internet, il trouve des vidéos qui expliquent différentes notions de chimie et se demande bien pourquoi les enseignants diffusent ce type de contenu. Ses recherches lui apprennent que certains professeurs utilisent les vidéos afin que les étudiants s’initient aux contenus théoriques à la maison, pour ensuite réinvestir cette théorie dans des activités et exercices en classe; complètement l’inverse de ce qu’il fait depuis des années!

Il décide donc de préparer des vidéos sur des notions qu’il doit souvent répéter. Il pense qu’il pourra ainsi libérer du temps de classe pour discuter davantage des notions difficiles et soutenir les travaux d’équipe où ces théories seront réinvesties.

Malgré certaines appréhensions de la part des étudiants, ils constatent avec étonnement plusieurs aspects positifs. Ils doivent dorénavant valoriser davantage les activités hors de la classe et ils se sentent beaucoup plus impliqués lors des périodes de classe.

Pourquoi?

CINQ RAISONS POUR PRATIQUER LA CLASSE INVERSÉE À L’UNIVERSITÉ

  1. Offre la possibilité aux étudiants d’écouter et de réécouter le contenu théorique s’ils en ont besoin.
  2. Favorise une responsabilisation des étudiants en les impliquant davantage dans leur apprentissage.
  3. Laisse plus de temps au suivi personnalisé à partir d’échanges avec l’enseignant.
  4. Permet davantage d’interactions entre les étudiants.
  5. Invite à une meilleure utilisation du temps en présence avec les étudiants.

Quoi?

UNE DÉFINITION DE LA CLASSE INVERSÉE

L’idée de vouloir dynamiser le temps de classe n’est pas nouvelle. Dès 1990, Eric Mazur, professeur de Harvard, proposait déjà l’idée de sortir l’enseignement magistral de sa classe. C’est par hasard que Aaron Sams et Jonathan Bergmann, deux professeurs du Colorado, ont implanté cette approche qui allait être par la suite nommée le flip teaching. L’approche consiste à rendre disponibles les contenus théoriques du cours sur vidéos, podcasts ou autres médias avant la période en classe allouée à cet enseignement. Plus précisément, la classe inversée réfère à F-L-I-P tm (Hamdan, McKnight, McKnight, Arfstrom, 2013) :

  • F- (Flexible Environment) : un environnement, classe ou laboratoire, qui s’adapte au rythme et style d’apprentissage des étudiants.
  • L- (Learning Culture) : l’étudiant est appelé à être actif et responsable de ses apprentissages, et ce, autant en dehors que dans la classe.
  • I- (Intentional Content) : afin de réduire le temps d’exposés magistraux donnés en classe, l’enseignant détermine le contenu qui peut être transmis à l’aide de vidéos, podcasts ou autres médias et qui seront écoutés (et réécoutés) au besoin par les étudiants lors de leur préparation au cours. Ce contenu sera revu et réinvesti dans les activités en classe.
  • P- (Professional Educators) : loin de vouloir remplacer l’enseignant, cette approche suggère une intervention pédagogique structurée et constamment adaptée aux étudiants en place.

Ce que nous dit la recherche

GARDER SA CLASSE À l’ENDROIT OU À L’ENVERS?

classe inversée

Comment?

C’EST LE TEMPS DE « FLIPPER »

Préparation de l’enseignant

L’enseignant réfléchit aux contenus qu’il désire enseigner avec cette méthode. S’il n’opte pas pour des vidéos existantes, il aura à préparer des capsules à partir des moyens technologiques à sa disposition : caméra numérique, logiciels de capture d’écran, tablette tactile, etc. Selon le cas, il pourra illustrer ses propos avec des exemples visuels, ou simplement capturer l’exposé magistral des contenus théoriques. Ensuite, il devra prévoir les activités obligatoires en classe, mais également des activités avancées pour les étudiants plus rapides.

 

Avant le cours

L’enseignant s’assure que les étudiants comprennent bien l’approche pédagogique du cours pour en assurer le succès, car cela exige une grande implication de leur part. Certains enseignants suggèrent d’y aller graduellement en proposant d’abord des lectures obligatoires qui seront suivies d’une activité en classe (Miller, 2013; Scholes, 2014). Ensuite, les contenus vus à la maison seront de plus en plus complexes, accompagnés de vidéos de l’enseignant. Il faut que l’apprentissage en dehors de la classe soit actif, en exigeant quelques tâches complémentaires. Cela peut prendre plusieurs formes : un résumé des contenus, des questions de compréhension, une réflexion critique par rapport aux contenus, etc. L’objectif est de s’assurer que l’étudiant a pris connaissance de la matière.

 

Pendant le cours

Pendant le temps de classe, l’étudiant est appelé à être actif dans ses apprentissages, en favorisant la réalisation d’activités, d’exercices ou d’expériences en laboratoire pour réinvestir le contenu vu dans les vidéos. À ce moment, le professeur joue un rôle de guide et de tuteur. Cela n’exclut pas des rappels ou démonstrations, où l’étudiant pourra se réapproprier certains contenus. Plusieurs enseignants qui utilisent la classe inversée préconisent la collaboration entre les étudiants. Cette façon de faire permet également aux enseignants de consacrer davantage de temps aux étudiants en difficulté.

 

Finalement...

La classe inversée ne cherche pas à transformer les méthodes d’enseignement, au contraire. Il s’agit plutôt d’utiliser des stratégies plutôt conventionnelles (enseignement magistral, travail en équipe) dans un contexte différent. En dehors de la classe, on préconisera les méthodes centrées sur l’enseignant (teacher-centered learning theories), alors qu’en classe, il s’agira plutôt d’insister sur les approches nécessitant des interactions ou la participation de l’étudiant (Student-centered Learning theories) (Bishop et Verlegger, 2013).

Références

Acedo, M. (2013). 10 Pros and Cons Of A Flipped Classroom.

Bishop, J. L. et Verleger, M. A. (2013). The flipped classroom: A survey of the research. In 120th Annual ASEE Annual Conference & Exposition.

Bissonnette, S. et Gauthier, C. (2013). Faire la classe à l’endroit ou à l’envers? Formation et profession. Revue scientifique internationale en éducation, 20(1) 32-40.

Hamdan, N., McKnight, P., McKnight, K. et Arfstrom, K. M. (2013). A White Paper Based On The Literature Review Titled A Review Of Flipped Learning, Flipped Learning Network. Pearson : George Mason University.

Meyer, C. et Jones, T. B. (1993). Promoting active learning: Strategies for the college classroom. San Francisco: Jossey-Bass.

Michel, N., Cater, J. J. et Varela, O. (2009). Active versus passive teaching styles: An empirical study of student learning outcomes. Human Resource Development Quarterly, 20(4), 397-418.

Perrenoud, P. (2005). Différencier : Un aide-mémoire en quinze points. Vivre le primaire. 18(2), p. 34.

Pohl, M. (2013). Thinking Skills. Insight. - Pierce, R. (2013). Student Performance in a Flipped Class Module. In R. McBride & M. Searson (Eds.), Actes du colloque : “Society for Information Technology & Teacher Education International Conference 2013” (pp. 942-954). Chesapeake, VA: AACE.

Tune, J. D., Sturek, M. et Basile, D. P. (2013). Flipped classroom model improves graduate student performance in cardiovascular, respiratory, and renal physiology. Advances in physiology education, 37(4), 316-320.

Wright, S. (2012). Flipping Boom’s taxonomy, Powerful learning practice.

Pour en savoir plus

D'autres questions à explorer

  • Comment peut-on amener les étudiants à développer un sens de l’autonomie plus important en lien avec leur apprentissage?
  • Quelles sont les conditions d’efficacité de la classe inversée?

Notice biographique

Normand Roy enseigne depuis 2 ans au département des sciences de l'éducation de l'Université du Québec à Trois-Rivières.  Dans le monde de l'éducation, il s'intéresse particulièrement à l'utilisation des technologies et à la formation à distance. Il est chercheur associé au Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante (CRIFPE) et il est membre de l'Association pour la recherche qualitative (ARQ).

Mentions de responsabilité

Cette capsule est une production de la Direction du soutien à l’enseignement et des bibliothèques (DSEB) en collaboration avec le Groupe d’intervention et d’innovation pédagogique (GRIIP)

Comité éditorial : François Guillemette, Céline Leblanc, Marie-Michèle Lemieux et Lucie Charbonneau

Coordination : Marie-Michèle Lemieux

Rédaction : Normand Roy

Correction : Isabelle Brochu et Dominique Papin