Autoévaluation et autorégulation : deux habiletés favorables aux apprentissages en profondeur

Pour les étudiants, des apprentissages en profondeur peuvent être réalisés grâce à l’autoévaluation et l’autorégulation. Dans ce numéro, Chantal Roussel, professeure à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), présente ces deux habiletés qui offrent un fort potentiel pédagogique tant pour les enseignants que pour les étudiants.

Mise en situation

Sébastiàn enseigne la gestion des ressources humaines et propose régulièrement des cas aux étudiants pour rendre les apprentissages concrets et leur donner du sens. Pour aider les étudiants à « réfléchir » sur la qualité du travail produit, il propose une grille d’évaluation formée de critères qu’ils doivent considérer. Durant le travail en équipe, l’enseignant demande aux étudiants de se prononcer (de façon critique) sur leur propre travail en fonction des critères énoncés dans cette grille. En début de trimestre, Sébastiàn note que les étudiants se sentent moins à l’aise avec l’analyse demandée et pour fournir des arguments solides en réponse à la demande. Pour les aider, cet enseignant guide et accompagne en écoutant les échanges tenus sur des points de la grille. Il est ainsi en mesure de reformuler certains propos entendus, de fournir des appréciations verbales sur la démarche d’autoévaluation empruntée et sur la qualité du travail réalisé.

Pour Sébastiàn, le travail d’équipe semble une bonne formule à préconiser, car les apprenants font part, à voix haute, de leurs réflexions sur la tâche en cours de réalisation ou une fois terminée. Les pensées communiquées entre pairs rendent l’autoévaluation et la réflexion plus tangibles et renforcent les habiletés des apprenants à ce chapitre. De plus, l’autorégulation consécutive à l’autoévaluation se voit sollicitée lorsque l’étudiant effectue des choix d’intervention judicieux et autonomes sur sa propre activité.

Pourquoi?

CINQ RAISONS D’UTILISER L’AUTOÉVALUATION ET L’AUTORÉGULATION

  1. L’autoévaluation et l’autorégulation favorisent la prise de conscience et le développement autonome des apprentissages.
  2. L’autoévaluation favorise l’esprit critique face à la tâche à accomplir, surtout si la personne qui s’évalue perçoit le sens accordé à son apprentissage (Bélair, 2015).
  3. Chaque apprenant doit être en mesure d’estimer ses forces et ses défis sur le plan de ses apprentissages, ainsi que des moyens de progresser.
  4. L’autoévaluation favorise les apprentissages en profondeur, donc plus durables, et prépare les étudiants à la prise de responsabilités professionnelles (Taras, 2008).
  5. Les gens conscients de leurs façons d’apprendre utilisent leurs capacités d’autorégulation.

Quoi?

L’AUTOÉVALUATION ET L’AUTORÉGULATION, QU’EST-CE QUE C’EST?

  • L’autoévaluation est une réflexion personnelle sur sa propre performance. La personne reconnait son niveau de connaissance, ses habiletés et sa compréhension dans une sphère d'activité donnée (Tiuraniemi et al., 2011).
  • L’autorégulation est « un processus d’intériorisation en lien avec l’apprentissage » (Bélair, 2015, p. 38 ; citant : Allal, 2007, Mottier Lopez, 2010, Tardif, 2006). Il s’agit d’un processus auquel l’autoévaluation et la réflexion contribuent (Tardif, 2006) par le biais d’un questionnement sur les mécanismes nécessaires à l’apprentissage. Ce processus « implique la prise de conscience et la réflexion critique chez l’apprenant. » (Bélair, 2015, p. 39) L’autorégulation est donc consécutive à l’autoévaluation et à la réflexion. Il s’agit d’une intervention autonome à la suite d’un diagnostic posé sur son action, sur ses progrès, ainsi que le jugement porté sur les étapes et les démarches empruntées. L’autorégulation indique à la personne comment elle doit poursuivre, modifier ou faire le choix d’abandonner l’activité à la suite de cette évaluation (St-Pierre, 2004).

Ce que nous dit la recherche

L’autoévaluation et l’autorégulation consistent à :

- Clarifier « avec » les étudiants

  • les cibles d’apprentissage planifiées, les tâches et les productions attendues en fonction de ces cibles (réflexion);
  • les critères et les indicateurs correspondant à ces tâches et à ces productions, afin de juger de leur cohérence et de leur valeur (autoévaluation).

- Pour qu’ils

  • exercent leur jugement critique à partir de critères et d’indicateurs afin d’identifier leurs forces et leurs défis en vue de s’ajuster (autoévaluation);
  • deviennent plus conscients de leur manière d’apprendre et des stratégies à déployer pour s’améliorer (autorégulation consécutive à l’autoévaluation et à la réflexion).

Comment?

Stratégies pour favoriser l’autoévaluation et l’autorégulation

Le tableau suivant s’appuie sur différentes étapes du processus d’autoévaluation proposées par St-Pierre (2004) et reprises par Lison et St-Laurent (2015). Il combine diverses stratégies à mettre en œuvre par l’enseignant et par les étudiants afin de favoriser l’autoévaluation et l’autorégulation.

Étapes Stratégies enseignantes Stratégies étudiantes
S’approprier les cibles d’apprentissage

1. Présenter les objectifs d’apprentissage en relation avec la tâche à accomplir.

2. Sélectionner des tâches ayant du sens et susceptibles de favoriser l’engagement des étudiants.

3. Présenter les exigences de la tâche (temps, modalités d’organisation et critères d’évaluation).

1. Se questionner entre pairs pour valider sa compréhension des objectifs à atteindre et de la tâche d’apprentissage.

2. Prendre conscience de son niveau d’engagement dans la réalisation de la tâche

3. Dresser l’inventaire des moyens à utiliser pour réaliser la tâche.

Échanger sur la nature des tâches et sur les productions attendues

1. Vérifier la compréhension des étudiants en posant des questions sur ce qui est attendu.

2. Inciter les étudiants à planifier adéquatement et à organiser leurs stratégies de travail et d’apprentissage.

1. Échanger avec l’enseignant et avec les pairs sur les tâches à réaliser.

2. Planifier et organiser le travail : analyser la tâche à réaliser et sélectionner les moyens les plus appropriés à la tâche.

Analyser des exemples pour en dégager les qualités, les caractéristiques et les manifestations

1. Poser des questions, confronter les points de vue au sujet de l’action en cours.

2. Proposer des stratégies d’organisation des apprentissages (analogies, schémas, classements en catégories, etc.)

3. Valider la compréhension des étudiants en cours de route.

1. Analyser les éléments travaillés (se questionner, juger de son niveau d’efficacité personnelle, etc.).

2. Concevoir des schémas organisateurs des éléments de la tâche. Tisser des liens avec une tâche antérieure pouvant s’approcher de celle en cours.

3. Identifier les éléments du processus ou certains contenus d’apprentissage moins bien compris.

Formulation ou appropriation de critères, d’indicateurs et d’échelles d’appréciation pour soutenir la réflexion

1. Présenter et expliquer les outils et les éléments d’évaluation de la tâche réalisée ou de la production attendue.

2. Vérifier le niveau de compréhension des étudiants par rapport aux éléments d’évaluation proposés.

1. Participer à l’élaboration ou à la réflexion critique sur les critères et les indicateurs d’évaluation utilisés.

2. Comprendre et analyser les éléments d’évaluation identifiés. Comprendre le sens des critères et des indicateurs et les relier à la tâche à produire.

Exécution de la tâche en relevant des indices sur la qualité

1. Questionner les étudiants sur le travail réalisé et les soutenir pour relever des indices de qualité.

2. Modéliser en exerçant une analyse à voix haute à partir des critères.

3. Questionner les étudiants sur les stratégies qu’ils utilisent et en proposer de nouvelles, plus complexes.

1. Analyser la tâche réalisée à l’aide des critères et des indicateurs pour relever les indices de qualité.

2. Se référer régulièrement aux objectifs et aux indices de qualité de la production réalisée (en fonction des critères).

3. Nommer et assurer une « surveillance » de ses façons de faire pour en évaluer l’efficacité.

Comparaison des indices de qualité aux critères

1. Fournir une rétroaction objective et positive permettant aux étudiants d’améliorer le sentiment de confiance qu’ils ont en leur compétence.

2. Valider et confirmer la capacité des étudiants à faire preuve de jugement sur leurs apprentissages.

1.Valider le niveau de cohérence entre la tâche et les critères qualitatifs donnés.

2. Identifier ses forces et ses défis à partir d’observations et d’indices.

3. Demander de la rétroaction, questionner l’enseignant au moment où la réalisation est ralentie ou compromise.

Réflexion critique et jugement

1. Donner une appréciation formative en utilisant des indices de qualité pour juger.

2. Demander aux étudiants d’anticiper en s’attribuant un résultat ou une appréciation.

1. Établir un jugement appréciatif et octroyer une valeur à sa production.

2. Tenter de prédire le résultat de ses apprentissages (performance) et évaluer son niveau de progression.

 

Le passage de l’autoévaluation à l’autorégulation nécessite le soutien de l’enseignant qui s’estompe à mesure que les compétences étudiantes s’accroissent (St-Pierre, 2004).

Autorégulation

1. Valider les décisions et les interventions futures de l’étudiant à la suite de son diagnostic.

2. Recueillir différentes informations utiles pour améliorer la qualité de son enseignement.

1. Prendre des décisions et intervenir sur le déroulement de sa propre activité à la suite de l’autoévaluation. Démontrer une capacité accrue d’autonomie et de réflexivité (modifier, proposer des alternatives).

2. Fournir à l’enseignant des rétroactions (formelles ou non) concernant les objectifs, les tâches, ainsi que l’encadrement fourni



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Références

Bélair, L. M. (2015). Entre lotto-évaluation et autoévaluation : questionnements sur les logiques de formations et les démarches d’accompagnement. Dans P.-F. Coen et L. M. Bélair (dir.), Évaluation et autoévaluation. Quels espaces de formation? (p. 37-54). Louvain-la-Neuve : De Boeck Supérieur.

Lison, C. et St-Laurent, C. (2015). Développer la pratique réflexive des étudiants pour soutenir leur autoévaluation. Dans J.-L. Leroux (dir.), Évaluer les compétences au collégial et à l'université : un guide pratique (p. 311-334). Montréal : Association québécoise de pédagogie collégiale (AQPC).

St-Pierre, L. (2004). L'habileté d'autoévaluation : pourquoi et comment la développer? Pédagogie collégiale, 18(1), 33-38.

Taras, M. (2008). Issues of power and equity in two models of self-assessment. Teaching in Higher Education, 13(1), 81-92. https://doi.org/10.1080/13562510701794076

Tardif, J. (2006). L'évaluation des compétences. Documenter le parcours de développement. Montréal : Chenelière Éducation.

Tiuraniemi, J., Läärä, R., Kyrö, T. et Lindeman, S. (2011). Medical and psychology students’ self-assessed communication skills: A pilot study. Patient Education and Counseling, 83(2), 152-157. https://doi.org/10.1016/j.pec.2010.05.013

 


Glossaire

  • Grille d’évaluation : Outil de jugement qui se compose essentiellement de critères accompagnés d’une échelle d’appréciation. Les échelles descriptives et les listes de vérification sont en quelque sorte des grilles d’évaluation.
  • Échelle descriptive : Document comprenant une série d’indicateurs décrivant différents niveaux de qualité d’une tâche selon un continuum de trois à six échelons (Durand et Chouinard, 2006).
  • Liste de vérification : Il s’agit d’un outil particulièrement utile dans certaines situations qui peuvent être décomposées en plusieurs sous-tâches ou en étapes bien identifiées. Il ne s’agit pas d’un outil de jugement, mais plutôt d’un instrument de consignation de faits divers dont on signale la présence ou l’absence (Scallon, 2004).
  • Les critères et indicateurs d’évaluation : Le choix de critères et d’indicateurs permet de cibler ses observations sur les aspects les plus importants de la tâche réalisée Critères : Repères servant de base à notre jugement. Ils précisent ce que l’on attend, sur quel aspect portera ce jugement Indicateurs : Ce sont les signes qui témoignent de l’existence d’un phénomène, d’un effet. Ils sont observables, concrets et constituent les données que l’on va recueillir. Ils sont quantitatifs (nombre ou taux) ou qualitatifs (CRES, 2004).

 

Références du glossaire

CRES. (2004). Comment rédiger des critères et des indicateurs d’évaluation? et mesurer des effets de nos actions de prévention ou d’éducation pour la santé…. Montpellier.

Durand, M.-J. et Chouinard, R. (2006). L'évaluation des apprentissages. De la planification de la démarche à la communication des résultats. Montréal : Éditions Hurtubise HMH ltée.

Scallon, G. (2004). L'évaluation des apprentissages dans une approche par compétences. Saint-Laurent (Montréal) : Éditions du renouveau pédagogique.

Pour en savoir plus

D'autres questions à explorer

  • Quelle instrumentation peut m’aider pour la conception d’outils adaptés à l’autoévaluation et à l’autorégulation?
  • Quelles sont les stratégies d’apprentissage à préconiser avec les étudiants dans un contexte de développement des habiletés d’autoévaluation et d’autorégulation?
  • Comment, en tant qu’enseignant, être un bon guide et favoriser l’apprentissage chez les étudiants?

Notice biographique

Chantal Roussel est professeure à l’Université du Québec à Rimouski.  Elle s’intéresse principalement à l’évaluation des apprentissages dans une approche par compétences et à l’utilisation du manuel numérique en enseignement postsecondaire.  La formation professionnelle ainsi que la reconnaissance des acquis et des compétences sont des thèmes qui l’animent en tant que chercheure.

Mentions de responsabilité

Cette capsule est une production de la Direction du soutien aux études et des bibliothèques (DSEB) en collaboration avec le Groupe d’intervention et d’innovation pédagogique (GRIIP)

Comité éditorial : Claude Boucher, François Guillemette, Alain Huot et Céline Leblanc

Coordination : Véronique D’Amours

Rédaction : Chantal Roussel

Correction : Isabelle Brochu et Dominique Papin

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