Quelles prises de conscience des enseignants susciter avant d’accompagner la mise en œuvre de pratiques pédagogiques inclusives?

Article

Bergeron, G. et Prud’homme, L. (2018). Processus de changement vers des pratiques plus inclusives : étude de la nature et de l’impact de conflits cognitifs. Revue des sciences de l’éducation, 44(1), 72-104. https://doi.org/10.7202/1054158ar      

Résumé

Cet article montre que les pratiques pédagogiques des enseignants peuvent évoluer pour devenir inclusives dans la mesure où les enseignants disposent de moments durant lesquels ils ont l’occasion de revoir les conceptions (notamment les croyances, valeurs et théories subjectives) sur lesquelles s’appuient ces pratiques et de découvrir d’autres moyens d’agir. Les conditions pouvant favoriser de telles remises en question ainsi que la découverte et l’ouverture à de nouvelles pratiques sont présentées.

Les auteurs se sont appuyés sur l’utilisation secondaire des données qualitatives de deux recherches-actions-formations réalisées auprès d’enseignants du préscolaire, du primaire et du secondaire. La posture épistémologique est interprétative et socioconstructiviste, et s’appuie sur une reconnaissance de la subjectivité dans l’étude des réalités humaines (Bourassa, Bélair et Chevalier, 2007). Les méthodes de collecte de données consistaient principalement, pour les deux recherches, en des groupes de discussion, des entretiens individuels, la rédaction de journaux réflexifs des protagonistes ainsi qu’en des accompagnements et de l’observation en classe dans certains cas. L’analyse des données de la première recherche a consisté en une « pratique d’analyse en mode écriture » (Clandinin et Connelly, 2000) et celle de la seconde recherche en une analyse inductive de données par théorisation. La méthode d’analyse secondaire des données de recherche s’est appuyée sur une approche de métasynthèse (Finfgeld, 2003; Thorne, Jensen, Kearney, Noblit et Sandelowski, 2004).


Appréciation et utilisation potentielle

Il est intéressant de reconnaître que les enseignants interprètent les situations et agissent en puisant dans un répertoire de valeurs, de croyances et de théories subjectives qu’ils ont élaboré au fil de leurs expériences (LaBoskey, 2007). Les changements nécessaires à la mise en œuvre de pratiques pédagogiques inclusives nécessitent donc des transformations qui touchent cet ensemble de représentations (Brown, 2005) et ne peuvent pas se réduire à une injonction à modifier leurs façons de faire. Il est important d’être conscient que ces changements sont par ailleurs porteurs d’inconfort pour les enseignants, car ils sont reliés à des pratiques qui se trouvent en dehors de leur répertoire habituel.

Les résultats de cette recherche peuvent être utiles à des conseillers pédagogiques notamment dans le cadre de l’accompagnement et de la formation d’enseignants universitaires en vue de l’adoption de pratiques pédagogiques inclusives, car ils permettent de comprendre comment les prises de conscience liées à la diversité des apprenants et aux conceptions de l’apprentissage rendent possible la modification de certaines pratiques pédagogiques. Les résultats suivants précisent deux directions intéressantes à cet effet : 

  • Les enseignants participants interrogent peu leurs élèves sur leurs caractéristiques. Lorsqu’ils le font, ils sont étonnés de l’ampleur de leurs besoins. Ils peuvent alors prendre conscience de l’importance de différencier leur enseignement et de varier leurs pratiques. Cette étape de questionnement des élèves par les enseignants est décrite comme étant « cruciale dans la mise en œuvre de pratiques inclusives et différenciées ».
  • Les enseignants participants ont majoritairement une conception de l’apprentissage qui s’apparente le plus souvent à une accumulation de contenu. Les amener à prendre conscience des limites que présente cette conception pour découvrir qu’il existe plusieurs façons d’apprendre permet à leur vision du potentiel de leurs élèves de se modifier. « […] les difficultés que rencontre l’élève peuvent maintenant se comprendre aussi en ce qui a trait aux tâches et aux activités qui lui sont proposées » (p. 88). Parmi les différentes façons d’apprendre, le potentiel des interactions sociales dans la construction du savoir est une prise de conscience importante.

Ainsi, s’ils ne le font pas déjà, les conseillers pédagogiques pourraient adapter leurs formations sur les pratiques pédagogiques inclusives et leurs accompagnements d’enseignants en commençant par donner des informations sur la diversité des profils et des besoins des élèves. Ensuite, ils pourraient s’assurer de présenter diverses conceptions de l’apprentissage.


Références

Bourassa, M., Bélair, L. et Chevalier, J. (2007). Les outils de la recherche participative. Éducation et francophonie, 35(2), 1-11. Récupéré de : https://www.acelf.ca/c/revue/pdf/XXXV_2_000.pdf

Brown, K. M. (2005). Transformative Adult Learning Strategies: Assessing the Impact on Preservice Administrators’ Beliefs. Educational Considerations, 32(2), 17-26.

Clandinin, D. J. et Connelly, F. M. (2000). Narrative Inquiry: Experience and Story in Qualitative Research. San Francisco, CA : Jossey-Bass Publishers.

Finfgeld, D. L. (2003). Metasynthesis: the state of art – so far. Qualitative Health Research, 13(7), 893-904. https://doi.org/10.1177/1049732303253462

LaBoskey, V. K. (2007). The Methodology of Self-Study and its Theoretical Underpinnings. Dans J. J. Loughran, M. L. Hamilton, V. K. LaBoskey et T. Russell (dir.), International Handbook of Self-Study of Teaching and Teacher Education Practices: Tome 2 (p. 817-869). Dordrecht, Pays-Bas : Springer.

Thorne, S., Jensen, L., Kearney, M. H., Noblit, G. et Sandelowski, M. (2004). Qualitative Metasynthesis: Reflections on Methodological Orientation and Ideological Agenda. Qualitative Health Research, 14(10), 1342-1365. https://doi.org/10.1177/1049732304269888 

Notice biographique

C.Pechard_photo-resizeCéline Pechard est détentrice d’un doctorat en sciences de l’éducation. Elle a été chargée de cours à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) pendant huit ans et a participé à plusieurs recherches en éducation depuis 2004. De 2005 à 2009, elle s’est intéressée à l’évaluation de programme et a agi dans ce domaine à titre de consultante pour plusieurs institutions privées ou publiques. À partir de 2010, elle est intervenue sur des questions relatives à l’éducation inclusive pour le compte du CAPRES (Consortium d’animation sur la persévérance et la réussite en enseignement supérieur) puis à l’École de Technologie Supérieure (ÉTS). Elle est conseillère pédagogique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) depuis août 2018.