Avis du GRIIP : COVID-19 - Favoriser l’implication des étudiants en contexte de formation à distance

Eve Pouliot, Mélanie Tremblay, Mélanie Fournier, Marie-Michèle Lemieux
Établissements : UQAC - Université du Québec à Chicoutimi, UQAR - Université du Québec à Rimouski, ÉTS - École de technologie supérieure, UQ - Université du Québec, siège social

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Mise en contexte

Depuis mars 2020, la crise sanitaire liée à la pandémie de la COVID-19 a bouleversé les pratiques établies de tous les secteurs d’activités. Dans le milieu universitaire, par la fermeture immédiate des accès physiques aux campus, les divers services, dont l’enseignement, ont dû s’ajuster pour être offerts en modalité à distance afin d’assurer la mission première de l’Université du Québec qui est d’« accroître le niveau de formation de la population québécoise par une accessibilité accrue » (Université du Québec, 2020). C’est donc dans un contexte d’urgence que le trimestre d’hiver a été arrêté ou complété avec une transition vers l’enseignement en ligne. Pour y arriver, des licences de plateformes de visioconférence ont été déployées à grande échelle. Les changements rapides exigés aux pratiques établies ont soulevé des appréhensions chez certains enseignants, les uns étant réticents, les autres ne sachant pas exactement comment assurer cet enseignement dans un nouvel environnement, numérique. Cela étant, dans plusieurs cas, il n’a pas été question de réelle formation à distance, mais plutôt de « prestation virtuelle » ou encore d’« enseignement en non-présentiel ». Des préoccupations relatives à la qualité de la formation offerte aux étudiants ont d’ailleurs été exprimées par des membres de la communauté universitaire. En effet, la formation à distance ne saurait se limiter à la transposition des activités d’enseignement-apprentissage par le biais d’une plateforme en ligne. Au contraire, elle appelle à penser, planifier et orchestrer autrement les stratégies pédagogiques de manière à susciter l’engagement et la motivation des étudiants. À l’instar des enseignants universitaires, les étudiants n’ont pas tous choisi ce type de formation, qu’ils doivent tout de même s’approprier du jour au lendemain pour tous leurs cours. De ce fait, on peut imaginer la surcharge cognitive chez des étudiants qui se verraient contraints de suivre leurs cours en ligne, advenant qu’ils soient tous offerts de façon magistrale, pendant 3 heures, sans interactivité…
Conséquemment, les risques liés à une transition rapide et généralisée vers des modalités de formation à distance sont nombreux si les stratégies pédagogiques ne sont pas réfléchies et adaptées pour soutenir l’apprentissage à distance. Un des risques de cette transition concerne l’engagement et la motivation des étudiants dont les enjeux ont été largement documentés dans le contexte de formation à distance (Bawa, 2016; Chekour, Chaali, Laafou et Janati-idrissi, 2015). S’ajoutent également des risques liés aux inégalités dites numériques inhérentes aux dispositions technologiques et concernant les compétences acquises chez les étudiants pour apprendre dans un tel environnement (Yagoubi, 2020).
Par cet avis du GRIIP, il est souhaité de soulever des pistes de réflexion et de proposer des conditions à mettre en place afin de favoriser la participation des étudiants, et ultimement leur réussite dans le contexte où l’enseignement en non-présentiel se poursuit.

Pistes de réflexion et conditions à mettre en place pour favoriser la participation étudiante

La recherche sur la formation à distance met en évidence l’essentielle planification d’un cours à distance dans le respect de l’alignement pédagogique ainsi que la nécessaire collaboration entre l’enseignant, expert de contenu, et les technopédagogues, experts de contenant. Penser son enseignement dans le contexte « à distance » offre la possibilité de revoir ses pratiques pédagogiques dans le but de favoriser une pleine participation des étudiants à leur formation. Dans le contexte actuel, le temps de réflexion, de collaboration et de planification est réduit, voire inexistant. Néanmoins, certains éléments doivent être considérés par l’enseignant pour favoriser la participation des étudiants et leur réussite. Qu’il s’agisse de planifier un enseignement où des activités sont proposées sous une modalité synchrone (l’enseignant et les étudiants se réunissent virtuellement sur une plage horaire définie), sous une modalité asynchrone (l’enseignant met à la disposition des étudiants du contenu pédagogique que ces derniers peuvent consulter aux moments qui leur conviennent tout en respectant les contraintes de temps imposées par l’enseignant) ou encore sous une combinaison des deux modalités, il est proposé de réfléchir à l’engagement des étudiants en matière de participation dans les activités pédagogiques. Comme le montre la Figure 1, il est possible de choisir les activités proposées en portant une attention particulière au niveau d’implication sollicité chez les étudiants.

niveaux de participation
                                            Figure 1: Trois niveaux d'implication des étudiants dans un cours

Les activités où l’étudiant se retrouve dans une posture de contributeur sont généralement plus exigeantes, mais favorisent des apprentissages dits « en profondeur ». Comme l’avancent Lave et Wenger (1991), l’apprentissage peut être conceptualisé sur le plan de la participation croissante dans diverses communautés de pratique. Les cours universitaires deviennent alors des occasions de faire vivre des situations qui s’apparentent à celles des milieux professionnels visés. Réfléchir selon la participation des étudiants amène alors à diversifier ses stratégies pédagogiques de manière à varier les activités d’enseignement et d’apprentissage dans les modalités de formation à distance et ainsi à surpasser la simple transposition de ce qui pouvait être fait au préalable dans une classe. De plus, les interactions multiples entre l’enseignant et les étudiants permettent de créer de la présence à distance (Jézégou, 2010) et viennent par le fait même réduire la perte de proximité associée au « tout à distance ». Solliciter de la sorte la participation des étudiants dans les processus d’élaboration de contenus et de prise de décision vise à soutenir leur apprentissage tout en favorisant leur engagement et leur motivation.

Quelques conditions à mettre en place par l’enseignant universitaire

Pour assurer la variété des niveaux d’implication des étudiants dans leur cours et favoriser la participation étudiante, des conditions minimales sont de mise. On s’attendra ainsi à ce que les enseignants universitaires :
•    Soient sensibles à l’importance de rendre les étudiants actifs dans leur apprentissage;
•    Optent pour des outils qui permettront une variété de niveaux d’implication;
•    Varient les modalités (synchrone, asynchrone) et les activités d’enseignement-apprentissage.

Également, les enseignants universitaires s’assureront d’être “visibles”, c’est-à-dire de participer aux activités de manière interactive avec leurs étudiants, par exemple en :
•    Proposant des questions dans les forums;
•    Enrichissant les réponses des étudiants;
•    Effectuant des rappels de consignes, de dates butoirs;
•    Offrant des rencontres individuelles ou en petit groupe;
•    Invitant régulièrement les étudiants à manifester promptement leurs besoins ou difficultés de compréhension;
•    Communiquant ses moments de disponibilité et les moyens de communication à privilégier.

Quelques recommandations suggérées aux établissements pour appuyer le personnel enseignant

Afin de rendre ces éléments possibles, il est important que les enseignants universitaires puissent compter sur une approche institutionnelle qui met au cœur les préoccupations pédagogiques. Pour ce faire, les recommandations suivantes ainsi que des pistes de solutions à mobiliser rapidement sont suggérées.

Aux chefs d’établissement - Reconnaître et valoriser le leadership pédagogique :

Mettre la pédagogie et les experts en pédagogie (enseignants universitaires et conseillers pédagogiques et technopédagogiques) au centre des décisions qui concernent par exemple la taille des groupes (30-35 max.), les modalités/scénarios de retour en salle de classe, l’acquisition d’outils de surveillance des examens, etc. Ce leadership pédagogique est rendu possible par la présence :
•    D’une structure de soutien technopédagogique et pédagogique établie et connue des enseignants universitaires (par exemple un centre de pédagogie universitaire composé d’enseignants et de professionnels);
•    D’une offre d’accompagnement technopédagogique et pédagogique individuel et de groupe;
•    D’un système de reconnaissance et de valorisation institutionnelle des enseignants qui s'impliquent dans l'amélioration de leurs pratiques pédagogiques (ex. fonds de développement, prix de l’enseignement et d'innovation pédagogique, etc.).

Quelques pistes de solutions à mettre en place

•    Embaucher davantage de personnel professionnel pour soutenir la transition vers les modalités de formation à distance;  
•    Donner l’occasion aux enseignants universitaires de discuter et d’échanger entre eux (soutenir une communauté de pratique par exemple);
•    Rendre rapidement disponibles des outils technologiques diversifiés afin de favoriser les différents niveaux d’implication des étudiants;
•    Établir un canal de soutien (ligne téléphonique, courriel, clavardage, texto, visio) pour répondre rapidement aux demandes ponctuelles;
•    Proposer des formations et de l'accompagnement pédagogique adaptés aux réalités et aux besoins divers des enseignants (certains sont plus avancés comparativement à d'autres);
•    Considérer la collaboration interétablissement ou en réseau pour faire face aux enjeux liés à la situation actuelle.

Aux directeurs de programmes et de départements - Assurer la cohérence de l’expérience étudiante

Favoriser la collaboration dans l’équipe programme ou au sein du département afin de mieux répondre aux besoins et parcours variés des étudiants et de leur offrir un cheminement structuré, logique et pertinent. La cohérence de l’expérience étudiante est favorisée par les actions suivantes :  
•    Mettre les étudiants au cœur des décisions prises afin de répondre à leurs besoins diversifiés;
•    Identifier les besoins du programme en ce qui concerne les outils technologiques et l’accompagnement pédagogique pour soutenir l’enseignement;
•    Favoriser les échanges entre les membres de chaque équipe programme;
•    S’assurer que les besoins spécifiques au programme/département soient reconnus et guident les décisions institutionnelles.

Quelques pistes de solutions à mettre en place

•    Favoriser des échanges réguliers entre les enseignants universitaires et établir des balises claires à communiquer aux étudiants;
•    Mettre en place des activités d’accueil, particulièrement pour les nouveaux étudiants, qu’elles soient en présentiel ou à distance (vidéo de présentation de l’équipe programme, rencontre d’accueil en sous-groupes);
•    Proposer des activités de codéveloppement, de mentorat, des communautés d’apprentissage;
•    Sonder les enseignants universitaires sur leurs besoins technologiques et pédagogiques.

Conclusion

Par cet avis du GRIIP, il est désiré de mettre en lumière certains risques encourus par une transition obligée et rapide vers les modalités d'enseignement à distance, notamment en ce qui concerne la participation des étudiants et ultimement leur réussite. En plus de créer de la valeur dans la relation d'enseignement-apprentissage à distance, positionner la réflexion pédagogique avant tout choix technologique protègera nos institutions d’une potentielle dévalorisation du rôle de l’enseignant et de la crédibilité de l’université.

 

Les références bibliographiques

Bawa, P. (2016). Retention in Online Courses: Exploring Issues and Solutions—A Literature Review. SAGE Open, January-March, 1-11. http://dx.doi.org/10.1177/2158244015621777
Chekour, M., Chaali, R., Laafou, M., et Janati-idrissi, R. (2015). Impact des théories de la motivation sur l'apprentissage dans le contexte scolaire. EpiNet: revue électronique de l’EPI, (avril). https://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1504c.htm
Jézégou, A. (2010). Créer de la présence à distance en e-learning: Cadre théorique, définition, et dimensions clés. Distances et savoirs, 8(2), 257-274. https://www.cairn.info/revue-distances-et-savoirs-2010-2-page-257.htm  
Lave, J., & Wenger, E. (1991). Situated learning: Legitimate peripheral participation. London: Cambridge University Press. http://dx.doi.org/10.2307/2804509
Université du Québec. (2020). Présentation générale. Consultée à : https://www.uquebec.ca/reseau/fr/reseau-de-luq/presentation-generale
Yagoubi, Amina (2020). Cultures et inégalités numériques : usages numériques des jeunes au Québec. Printemps numérique : Jeunesse QC 2030, 236 pages.  https://www.printempsnumerique.ca/nouvelles/article/fracture-numerique-chez-les-jeunes-quebecois/