L'exposé magistral est une pratique très connue en enseignement. Pourtant, on connait très peu l'impact que cette pratique a sur l'apprentissage des étudiants. Quel est le lien entre l'enseignement magistral et la motivation des étudiants? De quelle manière cette pratique peut-elle être repensée? Les auteurs, Jean-François Desbiens, Anastassis Kozanitis et Sèverine Lanoue, invitent les lecteurs à explorer ces questions.
Mise en situation
Fidèle à son habitude, Charles débute son cours de physiologie de l’activité physique à l’heure pile en souhaitant la bienvenue à ses 87 étudiants de 1re année entassés dans un auditorium.
Après avoir identifié les thèmes et l’ordre dans lequel il les couvrira pendant le cours d’aujourd’hui, il précise ses intentions éducatives. Il pose aux étudiants trois questions de révision des textes qui étaient à lire. Il leur accorde 10 minutes pour y répondre sur une base individuelle puis 10 de plus pour échanger en petites équipes de trois personnes. Ensuite, il anime une discussion autour des réponses trouvées dans différentes équipes, ce qui lui permet de saisir le pouls du groupe et de situer le degré de compréhension des éléments importants.
Après ce premier segment de 40 minutes, un premier bloc de présentation plus magistrale d’une durée de 20 minutes l’amène à clarifier les éléments de contenu moins bien maîtrisés et à en amener de nouveaux. Ce bloc est suivi d’une courte vidéo de 12 minutes permettant de contextualiser et d’approfondir les éléments présentés. Après la vidéo, sentant les étudiants moins disponibles, il annonce une pause de 15 minutes.
Au retour, il revient sur trois points saillants de la vidéo qu’il réinvestit dans un deuxième bloc de 25 minutes d’exposé magistral très interactif. À la conclusion de son exposé, il rappelle ses intentions éducatives et pose cinq problèmes à résoudre en lien avec la matière vue au cours. Après 15 minutes, il désigne cinq étudiants pour venir exposer le fruit de leurs réflexions sur les problèmes.
À chaque fois, Charles apporte des précisions ou un complément d’information. Le cours s’achève par des consignes sur les devoirs à faire et les salutations d’usage.
Pourquoi?
CINQ RAISONS POUR UTILISER DIFFÉREMMENT L’EXPOSÉ MAGISTRAL EN CLASSE UNIVERSITAIRE
- L’exposé magistral suscite l’ennui et réduit la fréquentation des cours (Mann et Robinson, 2009; Moore et al., 2008).
- L’exposé magistral suscite une perte d’attention progressive (Bunce et al., 2010; Burke et Ray, 2008).
- Cette stratégie engendre une compréhension et une rétention plutôt limitées des contenus (Denman, 2005; Short et Martin, 2011).
- L’exposé magistral suscite une perception défavorable de l’utilité (signification), du sentiment de compétence et du sentiment de contrôle de l’étudiant (Bédard et Viau, 2001; Duguet et Morlaix, 2012).
- L’utilisation de l’exposé magistral comme unique formule pédagogique constitue un facteur d’échec au 1er cycle universitaire (Duguet et Morlaix, 2012).
Quoi?
UNE DÉFINITION DE L’EXPOSÉ MAGISTRAL
Pour Duguet et Morlaix (2012), l’exposé magistral fait référence à une forme plutôt traditionnelle d’enseignement où l’enseignant dispense ses savoirs, réalise une présentation, et où les étudiants écoutent, généralement en prenant des notes.
Ce que nous dit la recherche
DES RÉSULTATS QUI INCITENT À CHANGER LES PRATIQUES
Une recherche menée par Desbiens, Kozanitis, Spallanzani et Turcotte auprès de 20 enseignants et de 695 étudiants de génie (32,3 %), d’activité physique (39,2 %) et de réadaptation (28,5 %) à l’aide d’observations vidéoscopiques répétées et de questionnaires validés indique que :
- L’exposé magistral est la formule pédagogique la plus utilisée dans les trois domaines étudiés.
- L’utilisation de longs segments de temps d’exposé magistral est significativement associé à des degrés d’engagement et de motivation faibles et même très faibles, ainsi qu’à une perception défavorable des manières d’interagir de l’enseignant par les étudiants durant les cours.
- La multiplication de courts segments d’exposé magistral entrecoupés d’autres formes de sollicitation des étudiants modifiera favorablement l’engagement des étudiants, leur motivation et leurs perceptions positives de l’enseignement.
Ils ont constaté une utilisation plus marginale d’autres formules pédagogiques comme les discussions en classe, l’approche problème, l’enseignement par les pairs et le travail d’équipes.
Figure 1. Proportion du temps d’utilisation de chaque formule pédagogique répertoriée.
Les chercheurs ont également constaté qu’un ratio temps consacré à l’enseignement magistral / nombre d’épisodes EM élevé (T/EP-3 et T/EP-4) est associé à des perceptions défavorables des étudiants sur les plans de la motivation (Buts de maîtrise -1; Buts d’évitement-4; Intérêt-1; Sentiment d’efficacité personnelle-1; Sentiment de contrôle-1), de l’engagement (Participation verbale-1) et du style d’interaction de l’enseignant (Ouverture-1 et Réactions-1) (voir figure 1).
Figure 2. Description des associations entre un ratio temps (T) / nombre d’épisodes EM élevé et les perceptions de la motivation, de l’engagement et du style d’interaction.
Références
Bédard, D., et Viau, R. (2001). Le profil d’apprentissage des étudiantes et des étudiants de l’Université de Sherbrooke. Sherbrooke, Québec : Université de Sherbrooke.
Bunce, D.M., Flens, E.A. et Neiles, K. Y. (2010). How long can students pay attention in class? A study of student attention decline using clickers. Journal of Chemical Education, 87(12), 1438-1443.
Bru, M. (2006). Les méthodes en pédagogie. Que sais-je. Paris : Presses Universitaires de France.
Burke, L.A. et Ray, R. (2008). Re-setting the concentration levels of students in higher education : an exploratory study. Teaching in Higher Education, 13(5), 571-582.
Denman, M. (2005). How to Create Memorable Lectures. Speaking of Teaching, 14(1),1-6.
Duguet, A. et Morlaix, S. (2012). Les pratiques pédagogiques des enseignants universitaires : Quelle variété pour quelle efficacité? Questions Vives, 6(18), 93-110.
Gopaul, B., Jones, G. A., & Weinrib, J. (2012, mai). The changing academic profession in Canada: perceptions of Canadian university faculty on research and teaching. Communication présentée à la rencontre annuelle de la Société canadienne pour la recherche en éducation supérieure, Waterloo, Ontario.
Mann, S. et Robinson, A. (2009). Boredom in the lecture theatre : an investigation into the contributors, moderators and outcomes of boredom amongst university students. British Educational Research Journal, 35(2), 243-258.
Moore, S., Armstrong, C. et Pearson, J. (2008). Lecture absenteeism among students in higher education: a valuable route to understanding student motivation. Journal Of Higher Education Policy and Management, 30(1), 15-24.
Normand, F. (2012). « Le tiers des étudiants décroche à l'université » - Pierre Fortin, économiste à l'UQAM. Les Affaires.
Short, F et Martin, J. (2011). Presentatin vs. Performance : effects of lecturing style in higher education on student preference and student learning. Psychology Teaching Review, 17(2), 71-82.
Viau, R. (2006). La motivation des étudiants à l’université : mieux comprendre pour mieux agir.
Pour en savoir plus
- Cours magistraux: leur efficacité remise en cause face à des méthodes d'enseignement plus actives
- Le cours magistral pourrait disparaître
- Consulter les autres bulletins Le Tableau pour découvrir différentes manières de varier votre pédagogie
- Stratégies pour dynamiser un exposé
D'autres questions à explorer
Présentement, les auteurs de ce tableau tentent d’établir si :
- il est possible d’identifier des balises permettant de cadrer la durée optimale d’utilisation de l’exposé magistral en classe universitaire;
- ces balises sont les mêmes indépendamment des paramètres de la motivation, de l’engagement, du style d’interaction ou de la performance scolaire concernés;
- enfin, dans une perspective de transformation des pratiques, les auteurs se demandent comment faire pour amener davantage de formateurs universitaires à élargir leur répertoire de formules pédagogiques.
Notices biographiques
Jean-François Desbiens Ph.D. est professeur titulaire au département d’enseignement préscolaire et primaire de la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke et directeur du CRIFPE-Sherbrooke. Il s’intéresse à la pédagogie universitaire depuis plusieurs années et s’intéresse plus particulièrement aux pratiques effectives des formateurs universitaires.
Anastassis Kozanitis (Ph.D) est professeur au Département de didactique de l'Université du Québec à Montréal depuis 2015. Il a aussi été conseiller pédagogique pendant plus de 10 ans à Polytechnique Montréal. Il enseigne aux futurs enseignants du niveau collégial et universitaire, notamment les stratégies et modèles d'enseignement, la gestion de classe et la motivation. Ses intérêts de recherche portent sur la motivation et l'engagement scolaire en contexte postsecondaire, ainsi que sur l'influence des interventions éducatives sur les apprentissages complexes dans les parcours professionnalisants. Enfin, il est consultant en pédagogie universitaire auprès d'organismes internationaux, particulièrement pour accompagner des réformes de programmes inspirées de l'approche par compétences.
Sèverine Lanoue, M. Sc. est étudiante au doctorat en science de l’activité physique à l’Université de Sherbrooke. Elle se spécialise en intervention éducative en activité physique. Depuis, plusieurs années elle agit comme assistante de recherche pour des projets sur la pédagogie universitaire.
Mentions de responsabilité
Cette capsule est une production de la Direction du soutien au études et des bibliothèques (DSEB) en collaboration avec le Groupe d’intervention et d’innovation pédagogique (GRIIP)
Comité éditorial : François Guillemette, Céline Leblanc, Caroline Lessard, Marie-Michèle Lemieux et Lucie Charbonneau
Coordination : Lucie Charbonneau
Rédaction : Jean-François Desbiens, Anastassis Kozanitis et Sèverine Lanoue
Correction : Isabelle Brochu et Dominique Papin
Comment?
REPENSER NOS MANIÈRES D’ENSEIGNER À L’UNIVERSITÉ
Les pratiques enseignantes au 1er cycle universitaire sont de plus en plus objet d’étude. Il y a lieu de penser que le modèle pédagogique universitaire dominé par l’exposé magistral (Gopaul, Jones et Weinrib, 2012) est mal adapté. En effet, des recherches rapportent qu’une proportion appréciable d’étudiants est désengagée et que les taux d’échecs (Duguet et Morlaix, 2012) et de décrochage (Normand, 2012) durant les études de 1er cycle sont élevés.
S’il est vrai que l’enseignant a moins de contrôle sur les conditions pédagogicoadministratives de l’enseignement-apprentissage (ex. : taille et composition des groupes, types de locaux, accessibilité et disponibilité du matériel pédagogique et technologique), il peut, en retour, exercer un plus grand contrôle sur les conditions d’enseignement-apprentissage en classe notamment en choisissant les formules pédagogiques ainsi que les formes d’interaction avec les étudiants les plus efficaces par rapport à l’apprentissage et à la réussite.
La probabilité d’obtenir des conséquences favorables sur la motivation, l’engagement et la perception du style d’interaction de l’enseignant est plus élevée si :
Le principe général à retenir est que l’exposé magistral aura des retombées favorables pour l’apprentissage si on l’inscrit dans une dynamique de participation de l’étudiant. Il faut mettre ce dernier en action, le faire réagir à l’exposé, le questionner, le guider dans une réflexion personnelle, l’inviter à partager avec ses collègues, etc.