Réduire la distance par la pédagogie de l'empathie

Il n'est pas toujours évident de se mettre dans la peau des autres, de bien comprendre ce que les gens autour de nous ressentent et vivent et il est tout aussi difficile de ne pas se sentir compris et impliqué dans les tâches qu'on nous demande.  Le présent numéro s'intéresse à la pédagogie de l'empathie et au comment, lorsque mise en application, cette dernière permet, à la fois aux étudiants et aux enseignants universitaires de vivre des expériences positives favorisant l'apprentissage, et ce qu'il s'agisse de cours en présence ou à distance.

Mise en situation

Alexi, un étudiant de première génération est un peu angoissé à l’idée d’aller à l’université, d’autant plus qu’un cours à distance apparaît à sa grille horaire. Bien qu’au Cégep, ses résultats se situaient dans la moyenne, il devait souvent revoir avec son enseignant les consignes des travaux, les méthodes proposées et nécessitait régulièrement des explications supplémentaires afin de s’approprier le contenu. Ces exigences demandaient de la part de ses enseignants une grande disponibilité. Pourra-t-il bénéficier de ce même encadrement à l’université? Il en doute… Et qu’en est-il du cours donné à distance, dans lequel il ne verra jamais son enseignant? Pour le moment, il est plutôt inquiet…

Les premières semaines de cours se sont écoulées et Alexi est agréablement surpris de son expérience universitaire. Encore plus, ses craintes relatives au cours « à distance » se sont dissipées. En effet, dès le début du trimestre, son enseignant s’est assuré de bien connaître ses étudiants. Un premier contact téléphonique a permis de préciser les attentes et objectifs de chacun, tout en assurant la bonne compréhension des exigences demandées dans le cours. Le contact a été agréable et a grandement mis Alexi en confiance.

Ce dernier a d’ailleurs été bien étonné de voir surgir à travers les exemples proposés et les thèmes à travailler certains des champs d’intérêt partagés avec son enseignant. Cette proximité, en plus de le mettre en confiance et de le motiver, a permis d'établir une véritable « conversation pédagogique » (Fuller, 2012; Holmberg, 1995, 1999, 2003) entre Alexi et son enseignant tout en réduisant la distance pressentie en début de trimestre. Suite à cette première expérience positive, Alexi a acquis davantage de confiance en lui et se sent maintenant à sa place à l’université.

Pourquoi?

LA PÉDAGOGIE DE L’EMPATHIE : DES BIENFAITS POUR TOUS

  1. Un enseignant empathique mobilise ses étudiants et facilite leur attachement à ce qu'il enseigne (connected learning);
  2. L’enseignant empathique s'intéresse à ses étudiants, les considère comme des personnes distinctes et complexes;
  3. La pratique de la pédagogie de l’empathie accroît la motivation de l'étudiant, accélérant ainsi ses apprentissages;
  4. La pédagogie de l’empathie contribue au plaisir d'étudier en s’assurant d’intéresser, d’intriguer et de mobiliser les étudiants.
  5. Par la pédagogie de l’empathie, un lien est créé entre l’enseignant et l’étudiant, même si la relation est à distance.

Quoi?

LES DIMENSIONS AFFECTIVES ET COGNITIVES DE L’EMPATHIE

L'empathie, c'est la capacité de ressentir et de comprendre ce que vit une autre personne. Ainsi défini, le concept semble plutôt simple, mais il correspond à une réalité d'une grande complexité.

Il y a d'abord ce qu'on ressent, la dimension affective de l'empathie - qu'on peut aussi appeler sympathie. La sympathie n'est donc pas tout à fait distincte de l'empathie; il y a toujours une part de sympathie dans l'empathie. C’est une sensibilité naturelle à ce que ressent l’autre, à son vécu sur le plan affectif. (Carter et collaborateurs, 2009; Decety, 2009; Iacoboni, 2011)

Le second aspect fondamental de l'empathie est la dimension cognitive. Par une certaine analyse cognitive de nos perceptions nous permettant de prédire les comportements de l’autre, nous pouvons décoder beaucoup d’informations, non seulement dans ce qu’il nous dit, mais aussi en fonction de notre propre compréhension du contexte qui nous est communiqué. Cela nous aide à mieux saisir ce que nous ressentons. Cette analyse cognitive nous aide à gérer nos réactions sympathiques.

L'empathie englobe tout cela, de nos réactions affectives premières à toute la finesse de notre analyse contextuelle pour nous aider à comprendre les autres.

Ce que nous dit la recherche

EN PRÉSENCE OU À DISTANCE, LA CONVERSATION PÉDAGOGIQUE PERMET D’ÉTABLIR UNE RELATION ENTRE L’ENSEIGNANT ET L’ÉTUDIANT

empathie

Comment?

INTÉGRER L’EMPATHIE DANS SON ENSEIGNEMENT

L'enseignement en général peut bénéficier d'une plus grande empathie dans la relation pédagogique (Cooper, 2011; Gribble et Oliver, 1973; Washburn 2008). Un bon pédagogue est capable d'un lien individualisé réel avec l'autre, même quand ce qu'il veut communiquer est purement intellectuel. Un étudiant est généralement sensible à l'intérêt que lui porte un professeur et à l'ouverture qu'il perçoit dans la possibilité de communiquer avec lui. Chaque étudiant, et ce, dès l'école primaire, peut se souvenir des enseignants dont il a ressenti cette capacité de transmettre une matière difficile de manière personnalisée. Dans l'enseignement à distance, nécessairement, le défi est plus grand car le lien avec l'étudiant est moins évident. Néanmoins, à distance ou non, il est possible d'adapter tout enseignement pour tenir compte de la pédagogie de l'empathie.

Se mettre dans la peau de l’étudiant :

Le premier contact avec l'enseignant est habituellement accompagné de la réception du « matériel pédagogique », un ensemble de textes, d'informations, d'exercices, de conseils rédactionnels et d'autres contenus ou outils. Lors de la première expérience, le choc peut être assez grand notamment pour un étudiant à distance. En effet, face à toute l’information fournie, l’étudiant peut se sentir perdu, laissé à lui-même et craintif face au défi d'intégrer tout cela et de réussir.

Ces sentiments, tout à fait normaux, ne doivent pas être pris à la légère. L'enseignant doit d'abord se faire une représentation de l’état émotionnel des étudiants, des réactions possibles à la réception du matériel pédagogique, de ce que vivent chacun des étudiants ciblés par le cours donné, etc. Les enseignants peuvent avoir tendance à enseigner comme si c'était eux-mêmes qui étaient les étudiants, c'est-à-dire en prenant pour acquis que tout le monde aura le même intérêt qu'ils ont pour leurs cours et leurs sujets de recherche, et peut-être même en concevant du matériel qui risque de ne pas être vraiment adapté au niveau de la majorité des étudiants. L’empathie consiste à se mettre dans la peau de ses étudiants au lieu de les imaginer comme des personnes pareilles à soi.

Plonger les étudiants au cœur de l'action d'apprendre, chaque geste compte
  • Assurer une ouverture vis-à-vis de ce que communiquent les étudiants, y compris en ce qui a trait à leur vie personnelle non-scolaire.
  • Enseigner avec dynamisme de façon à rejoindre les étudiants, à les intéresser, à faire en sorte qu'ils se sentent interpellés par ce qui leur est présenté.
  • Choisir du matériel pédagogique et utiliser des méthodes et des exemples qui « parlent » aux étudiants.
  • Être attentif au verbal et au non verbal des étudiants. En classe, le professeur avec un minimum d'empathie constatera rapidement si ses choix (matériel, exemples, exercices, travaux) correspondent bien aux capacités de ses étudiants. Même dans le cas de l’enseignement à distance, il faut s'assurer que la communication sera efficace. Pour y parvenir, l’enseignant peut assister lui-même à quelques cours à distance pour bien comprendre ce qui y est vécu; il peut vérifier si son matériel fonctionne dans un contexte de salle de classe (certains professeurs à distance enseignent aussi en classe); il peut faire des pré-tests avec de petits groupes pour valider son matériel, etc.
  • Effectuer de nombreuses vérifications du cheminement de chaque étudiant durant le cours.
  • Privilégier les échanges fréquents, en continu, centrés sur une seule difficulté à la fois.
  • Donner des rétroactions rapides et claires sur les examens et travaux notés. La rétroaction doit être détaillée et personnalisée. Elle doit avoir comme objectif d’expliquer les erreurs à l’étudiant MAIS aussi de le motiver à travailler plus fort, à s’améliorer et à réussir son cours.
  • Éviter un usage répété de réponses-types ou de courriels plutôt administratifs qui ne favorisent pas la vraie communication.

Tout cela requiert un grand investissement de temps et d'énergie de la part de l’enseignant, mais aussi, et c'est peut-être l'essentiel, un réel intérêt et une réelle empathie pour ce qui est vécu par les étudiants qui s'inscrivent à son cours. Tout le reste découle de là.

Références

Carter C.S., Harris, J. et Porges, S.W. (2009). Neural and evolutionary perspectives on empathy. Dans Decety, J., & Ickes, W. (2009) (Eds). The social neuroscience of empathy. Cambridge, Ma: The MIT Press. Chap. 13, 169-182.

Cooper, B. (2011). Empathy in Education. Engagement, Values and Achievement. New York : Bloomsbury.

Decety, J. et Ickes, W. (2009) (Eds). The social neuroscience of empathy. Cambridge: MIT Press.

Gribble, J. et Oliver, G. (1973). Empathy and education. Studies in Philosophy and Education, 8(1), 3-29.

Iacoboni, M. (2011). Within each other: Neural mechanisms for empathy in the Primate Brain. In Coplan, A., & Goldie, P. (Eds). Empathy. Philosophical and Psychological Perspectives. Oxford: Oxford University Press.

Fuller, R.G. (2012) Building Empathy in Online Courses : Effective Practical Approaches. International Journal of Information and Communication Technology Education, 8(4), 38-48.

Holmberg, B. (1995). Theory and Practice of Distance Education. London : Routldege. Holmberg, B. (1999). The Conversational Approach to Distance Education. Open Learning, 14(3), 58-60.

Holmberg, B. (2003). A Theory of Distance Education Based on Empathy. In Moore, M., & Anderson, W.G. (Eds), Handbook of Distance Education (pp 79-86). London : Lawrence Erlbaum.

Washburn, G. N. (2008). Alone, Confused, and Frustrated: Developing Empathy and Strategies for Working with English Language Learners. Clearing House: A Journal of Educational Strategies, Issues and Ideas, 81(6), 247-250.

Pour en savoir plus

D'autres questions à explorer

  • Comment développer l’empathie?
  • Comment se décentrer de ses besoins en tant qu’enseignant pour se centrer sur les besoins de ses étudiants?
  • Comment expliquer que certains enseignants sont incapables de se mettre à la place de leurs étudiants?

Notice biographique

Mario Poirier est professeur titulaire à la TÉLUQ depuis 1998 dans les programmes de psychologie et de santé mentale.  Il est également psychologue depuis 1982.  L'empathie est un des sujets de recherche sur lesquels M. Poirier se penche.  Il s'intéresse également à l'itinérance, aux pratiques novatrices en santé mentale, à l'intervention en contexte de pauvreté, ainsi qu'au soutien des intervenants.

Mentions de responsabilité

Cette capsule est une production de la Direction du soutien aux études et des bibliothèques (DSEB) en collaboration avec le Groupe d’intervention et d’innovation pédagogique (GRIIP)

Comité éditorial : François Guillemette, Céline Leblanc, Lucie Charbonneau et Marie-Michèle Lemieux

Coordination : Marie-Michèle Lemieux

Rédaction : Mario Poirier

Correction : Isabelle Brochu

Thème(s)