Les pratiques pédagogiques inclusives au cœur de la planification d’un cours en présentiel et à distance

Dans ce numéro, Céline Pechard conseillère pédagogique à l’UQAM et Marie-Christine Dion conseillère pédagogique à l’UQAC partagent leurs expertises en pédagogie inclusive en vous suggérant des pratiques pédagogiques inclusives à intégrer dans les diverses étapes de planification de votre cours et lors de la prestation en mode présentiel ou à distance.

Mise en situation

Sylvie enseigne à l’université et constate que de nombreux étudiants et étudiantes de son cours font face à divers obstacles liés à leur situation, à leur profil ou au mode d’enseignement (en présentiel ou à distance). Par exemple, certaines de ces personnes sont en emploi plus de 30 h par semaine, élèvent seules des enfants ou ont de la difficulté à rester motivées à distance. Il lui semble aussi que le nombre de demandes d’accommodements liés à des situations de handicap est en augmentation. Sylvie a à cœur la réussite de tous et toutes, mais elle remarque qu’elle passe beaucoup de temps à répondre à des demandes individuelles de tous genres. Outre le temps que ces réponses nécessitent, elle s’inquiète de respecter le principe d’équité et craint que le niveau de ses exigences académiques ne finisse par baisser.

Sylvie sait que les objectifs d'apprentissage ne doivent pas être revus à la baisse. Elle réalise alors que, si les apprentissages visés sont clairs pour elle, ils peuvent être exprimés plus clairement dans son plan de cours. Les méthodes pour les enseigner et pour les évaluer peuvent également être revues sans que le niveau académique baisse. Ainsi, ses étudiants·es pourront atteindre les cibles d’apprentissage prévues et être évalués·es à leur plein potentiel.

Pourquoi?

CINQ RAISONS D’ADOPTER DES PRATIQUES PÉDAGOGIQUES INCLUSIVES

  1. Le fait de travailler en prévention des obstacles ou des besoins des populations étudiantes diversifiées plutôt que de chercher à résoudre les problèmes une fois qu'ils apparaissent a un impact positif pour tous (Turcotte, 2017).
  2. Les pratiques inclusives favorisent la motivation, l’engagement et la réussite d’un plus grand nombre de personnes étudiantes (Bates, 2015).
  3. Ce sont les moyens pour permettre aux étudiants d’atteindre les objectifs d’apprentissage qui sont examinés en pédagogie inclusive. Les objectifs ne sont en aucune façon diminués. (Philion, Bourassa, Lanaris et Pautel, 2016).
  4. Penser inclusif permet de diminuer les demandes d'accommodements individuels (B La Grenade et Trépanier, 2017).
  5. La mise en place de pratiques inclusives permet à tous les apprenants et apprenantes de démontrer leur plein potentiel (Beaudoin, 2013).

Quoi?

UNE DÉFINITION DE LA PÉDAGOGIE INCLUSIVE ET DES PRATIQUES PÉDAGOGIQUES QUI EN DÉCOULENT
La pédagogie inclusive est une approche qui regroupe un ensemble de pratiques pédagogiques exemplaires (Beaudoin, 2013) dont la mise en place implique une adaptation à la diversité des apprenants et apprenantes (Prud’homme et Bergeron, 2018) sans baisser son niveau d'exigences académiques et dans le but de prévenir les obstacles arbitraires à la réussite de tous.

Ce que nous dit la recherche

À LA FOIS UN DÉFI ET UNE OPPORTUNITÉ

Ce que nous dit la rechercheLa légitimité de la diversité en éducation est reconnue depuis la déclaration de Salamanque signée en 1994 (UNESCO). Dans la continuité de cette reconnaissance, la pédagogie inclusive postule qu’il n’existe pas d’apprenant·e typique et que la diversité est la norme (Meyer, Rose et Gordon, 2014). Elle creuse et opérationnalise l’idée selon laquelle il est possible de mettre en place des stratégies pédagogiques permettant de prévenir l’apparition d’obstacles à l’apprentissage en lien avec la diversité des profils étudiants (Rao et Meo, 2016). Cette voie représente à la fois un défi (Bates, 2015) et une opportunité, autant dans un contexte d’enseignement en présentiel qu'à distance, dans la mesure où elle rejoint le constat que les choix pédagogiques d’un·e enseignant·e, en lien avec ses pratiques d’enseignement et d’évaluation, sont déterminants pour l’engagement, la motivation et la persévérance des populations étudiantes dans leur formation universitaire (Biggs, 1999; Viau, 2014; Eddy et Hogan, 2014; Bates, 2015).

Comment?

PLANIFIER LA MISE EN ŒUVRE DE PRATIQUES INCLUSIVES EN PRÉSENTIEL ET À DISTANCE

Les six étapes suivantes visent à opérationnaliser les principes de la pédagogie inclusive. Elles peuvent servir de guide pour valider ses pratiques ou pour faire une transition progressive vers une approche plus inclusive de son enseignement, y compris lorsqu’on enseigne à distance :

  1. Clarifier les objectifs d’apprentissage en commençant par une réflexion sur les objectifs de son cours en lien avec le programme dans lequel il s’insère et les profils étudiants (Bates, 2015). Établir des objectifs clairs, réalistes et progressifs. Faire en sorte qu’ils soient exprimés du point de vue de la personne étudiante et qu’ils soient suffisamment spécifiques pour guider les choix de méthodes d’enseignement et d’évaluation pertinents (Tomlinson et McTighe, 2013). Par exemple, l’objectif « Connaître le concept XYZ » pourrait être remplacé par « Décrire le concept XYZ ». Les étudiants·es pourraient alors décrire le concept par le biais d’une carte conceptuelle.
  2. Prévoir différentes options d’évaluation pour que les étudiants·es puissent démontrer qu’ils ont atteint les objectifs. Par exemple, offrir un choix quant à la forme de l’évaluation (examen écrit, présentation orale via la plateforme de visioconférence, travail en équipe, etc.) et penser à accorder du temps supplémentaire à tous si la condition de rapidité n'est pas en lien avec un objectif d'apprentissage explicite du cours.
  3. Diversifier ses stratégies d’enseignement et s’assurer de leur cohérence avec les objectifs d’apprentissage visés. Par exemple, proposer des conférences et des vidéos à visionner pour des objectifs d’acquisition de connaissances déclaratives, des débats et des synthèses de lecture pour des objectifs liés à la compréhension des concepts, des résolutions de problème et des mises en situation pour des objectifs de type « appliquer », des études de texte ou des travaux de recherche pour des objectifs dédiés à l’analyse, etc. (Biggs, 1999). Ainsi les étudiants·es seront stimulés·es de diverses façons, notamment à distance où le risque de désengagement est important.Processus éducation inclusive
  4. Communiquer ses objectifs aux étudiants dans un plan de cours accessible et détaillé. Effectuer des rappels au début de chaque séance afin d’aider les étudiants·es à se situer dans le cheminement d’apprentissage du cours.
  5. Utiliser les opportunités inclusives de la formation à distance. Par exemple, se servir de la plateforme numérique d’apprentissage pour rendre les documents (écrits, vidéos, etc.) accessibles à d’autres moments que lors de la séance prévue, des fonctions d’accessibilité de certains outils (vérification de l’accessibilité dans PowerPoint, sous-titrage dans Zoom, etc.), des outils facilitant le travail collaboratif en ligne (Google Education, Office 365, etc.) et des possibilités de diversification de format des ressources (vidéo, baladodiffusion, texte, etc.).
  6. Questionner les étudiants·es à différents moments du trimestre : « Que devrais-je savoir sur vous comme apprenant ou apprenante pour que mon cours vous soit profitable? » (Ouellett, 2004 cité dans Beaudoin, 2013) et « Quelles méthodes d’enseignement, d’évaluation ou quels « trucs » mis en place par vos enseignants et enseignantes vous ont été particulièrement utiles dans vos études jusqu’à présent? »

Finalement, les modifications envisagées pour rendre son cours plus inclusif peuvent être mises en œuvre pour tous et toutes si elles lèvent les barrières à l’apprentissage tout en permettant l’atteinte des objectifs d’apprentissage initiaux.

Références

Bates, A. W (2015). L’enseignement à l’ère du numérique : des balises pour l’enseignement et l’apprentissage. Contact Nord. https://teachonline.ca/sites/default/files/pdfs/tony_bates-teaching_in_a_digital_age-fre.pdf
B. La Grenade, C. et Trépanier, N. (2017). Le rôle des professeurs dans l’inclusion des étudiants en situation de handicap. Pédagogie collégiale, 30(2). https://aqpc.qc.ca/revue/article/role-des-professeurs-dans-inclusion-des-etudiants-en-situation-handicap-au-collegial
Beaudoin, J.P. (2013). Introduction aux pratiques d’enseignement inclusives. Ottawa, ON : Centre de pédagogie universitaire, Université d’Ottawa. https://www.uottawa.ca/respect/sites/www.uottawa.ca.respect/files/accessibilite-guide-inclusion-fr-2013-10-30.pdf   
Bergeron, G. et Prud’homme, L. (2018). Processus de changement vers des pratiques plus inclusives : étude de la nature et de l’impact de conflits cognitifs. Revue des sciences de l’éducation, 44(1) 72–104. https://doi.org/10.7202/1054158ar
Biggs, J. B. (1999). Teaching for Quality Learning at University. Buckingham, Royaume-Uni : The Society for Research into High Education and Open University Press.
Eddy, S. L., et Hogan, K. A. (2014). Getting Under the Hood: How and for Whom Does Increasing Course Structure Work? CBE – Life Sciences Education, 13(3), 453-468 https://doi.org/10.1187/cbe.14-03-0050
Meyer, A., Rose, D.H., & Gordon, D. (2014). Universal design for learning: Theory and Practice. Wakefield, MA : CAST Professional Publishing.
Philion, R., Bourrassa, M., Lanaris, C. et Pautel, C. (2016). Guide de références sur les mesures d’accommodement pouvant être offertes aux étudiants en situation de handicap en contexte universitaire. http://uqo.ca/sites/default/files/fichiers/9752-guide-accommodements.pdf
Rao, K, et Meo, G. (2016). Using Universal Design for Learning to Design Standard-Based Lessons. SAGE Open, 6(4), 1-12. https://doi.org/10.1177/2158244016680688
Tomlinson, C. A. et McTighe, J. (2013). Intégrer la différenciation pédagogique et la planification à rebours. Montréal, QC : Chenelière Éducation.
Turcotte, P. (2017). Pour répondre à la diversité des étudiants, les pratiques inclusives. [Présentation Powerpoint]. http://www.clg.qc.ca/fileadmin/clg/DM/2017-01-27_Conference_Paul_Turcotte.pdf
UNESCO (1994). Déclaration de Salamanque et cadre d’action pour l’éducation et les besoins spéciaux. Conférence mondiale sur l’éducation et les besoins éducatifs spéciaux: accès et qualité, Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture, Ministère de l’Éducation et des Sciences Espagne. https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000098427_fre
Viau, R. (2014). Savoir motiver les étudiants. Dans L. Ménard et L. St-Pierre (Éds.), Se former à la pédagogie de l’enseignement supérieur (pp. 235-252). Québec, Canada : AQPC.

Pour en savoir plus

« Enseigner à l’université » : les modules d'autoformation en ligne - module 5 sur l'« Éducation inclusive »: https://enseigneraluniversite.com/

Bergeron, L., Rousseau, N. & Leclerc, M. (2011). La pédagogie universelle : Au cœur de la planification de l’inclusion scolaire. Éducation et francophonie, 39(2), 87-104. https://doi.org/10.7202/1007729ar

Richard, J.-F. (2016). La rédaction d’objectifs d’apprentissage: principes, considérations et exemples. Fredericton, NB: Commission de l’enseignement supérieur des Provinces maritimes. https://www.cespm.ca/media/125747/La-r%C3%A9daction-dobjectifs-dapprentissage_principes-consid%C3%A9rations-et-exemples-JF-Richard-FR.pdf

 

D'autres questions à explorer

  • Du point de vue des personnes enseignantes, quels sont les avantages d’une pédagogie inclusive?
  • Du point de vue des personnes étudiantes, quels sont les avantages d’une pédagogie inclusive?
  • Le niveau d’exigence académique est-il à risque de baisser dans une université plus inclusive? Pourquoi?
  • L’adoption de modalités d’enseignement à distance offre-t-elle une opportunité pour rendre son cours plus inclusif?

Notices biographiques

Céline PechardCéline Pechard est détentrice d’un baccalauréat en sciences politiques, d’un master en gestion et d’un doctorat en sciences de l’éducation. Elle a été chargée de cours à l’UQAM pendant huit ans et a participé à plusieurs recherches en éducation depuis 2004. De 2005 à 2009, elle s’est intéressée à l’évaluation de programme pour la Commission des partenaires du marché du travail et a agi dans ce domaine à titre de consultante pour le Cirque du Soleil, pour la FTQ (Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec) et plus récemment pour le Cégep Montmorency. À partir de 2010, elle est intervenue sur des questions relatives à l’éducation inclusive pour le compte du CAPRES (Consortium d’animation sur la persévérance et la réussite en enseignement supérieur) puis à l’École de Technologie Supérieure. Elle est conseillère pédagogique à l’UQAM et siège au Comité conseil permanent sur l’éducation inclusive (CCPEI) de l’UQAM à titre d’experte depuis 2018.

 

Marie-Christine DionAprès avoir travaillé pendant plus de 13 ans comme enseignante-orthopédagogue auprès des élèves du secondaire, Marie-Christine Dion a fait le saut au niveau postsecondaire en occupant en alternance les fonctions de conseillère responsable des services adaptés et de conseillère pédagogique au Cégep de Jonquière pendant huit ans. Depuis 2018, elle occupe un poste de conseillère en pédagogie inclusive à l’UQAC tout en continuant d’être chargée de cours au module d’adaptation scolaire et sociale et superviseure de stage. Elle possède un baccalauréat en adaptation scolaire et sociale, un certificat en interventions éducatives et une maîtrise en éducation (Représentations sociales des enseignantes et des enseignants des secteurs collégial et universitaire du Saguenay-Lac-Saint-Jean quant au soutien et à l’encadrement de la « clientèle émergente »).

Mentions de responsabilité

Cette capsule est une production de la Direction du soutien aux études et des bibliothèques (DSEB) en collaboration avec le Groupe d’intervention et d’innovation pédagogique (GRIIP)
Comité éditorial : Claude Boucher, François Guillemette, Alain Huot, Céline Leblanc et Chantal Roussel
Coordination : Marie-Michèle Lemieux
Rédaction : Céline Pechard et Marie-Christine Dion
Correction : Isabelle Brochu et Dominique Papin