Les jeux sérieux au service de l’apprentissage

Souvent perçu comme une perte de temps pour les jeunes, les jeux vidéo pourraient se révéler plus utiles que prévu en éducation. Depuis quelques années, les jeux dits « sérieux » sont de plus en plus présents. Dans un cadre éducatif, les élèves joueurs peuvent « vivre » l'apprentissage plutôt que le subir. Mais en quoi ça consiste? Quels en sont les bienfaits réels? Que nous dit la recherche sur cette approche ludique? Dans ce numéro du bulletin Le Tableau, Pascal Forget donne quelques pistes pour répondre à ces questions.

Mise en situation

David enseigne un cours universitaire de modélisation mathématique. Pour vérifier les apprentissages de ses étudiants par rapport aux différentes méthodes et aux modèles présentés en classe, il aime proposer des cas d’application étoffés et relativement complexes. Ces cas présentent des situations issues de contextes possibles d’exercice de la profession. Quoique ces cas soient appréciés, il aimerait susciter encore plus l’intérêt de ses étudiants en rendant l’expérience plus captivante. Aussi, il a lu que la nouvelle génération de jeunes a été nommée la « génération Jeu » (Hostetter et Madison, 2002)…

Étant lui-même un adepte de jeux vidéo, il fait quelques recherches pour en connaître davantage sur l’utilisation des jeux vidéo dans un contexte pédagogique. Il se rend rapidement compte que le principe existe sous l’appellation serious gaming ou jeux sérieux. Le principe de base est de tirer profit de ce qu’offrent les jeux vidéo et de le mettre au service de la pédagogie pour augmenter l’intérêt et, du même coup, la compréhension des connaissances et le développement des compétences. La finalité est de transformer une expérience d’apprentissage traditionnelle en expérience de jeu et de plaisir.

David décide donc de créer une plateforme de jeu sur Internet, en reprenant les problèmes présentés dans un cas d’application. À l’aide du technopédagogue de son université, d’un réalisateur, de comédiens et de techniciens, il réussit à créer une expérience se rapprochant du jeu vidéo, avec des vidéos d’introduction, des envois de courriels automatisés, un sentiment d’engagement et une implication héroïque. David réalise que les étudiants sont très curieux en contexte de jeu sérieux et démontrent beaucoup d’intérêt à le « réussir ».

Pourquoi?

CINQ RAISONS POUR UTILISER LE JEU SERIEUX EN PÉDAGOGIE UNIVERSITAIRE

  1. Peut susciter un intérêt accru chez l’étudiant par rapport à une activité d’apprentissage.
  2. Peut favoriser le développement d’habiletés cognitives et psychomotrices.
  3. Permet de varier les stratégies pédagogiques employées, en misant sur l’action et l’interaction.
  4. Peut permettre l’ajustement automatique du niveau de difficulté (augmentation ou réduction) des problèmes en fonction des besoins de l’étudiant.
  5. Permet de se rapprocher d’un passe-temps d’un grand nombre d’étudiants, susciter des attitudes positives et rendre amusant l’apprentissage à l’université!

Quoi?

UNE DÉFINITION DU JEU SÉRIEUX

Un jeu sérieux est une activité qui présente une situation artificielle dans laquelle un ou plusieurs joueurs, mis en position de conflit (confrontation) avec d’autres joueurs ou tous ensemble (coopération) contre d’autres forces, sont régis par des règles (procédures, contrôles et clôtures) qui structurent leurs actions en vue d’un but déterminé, soit de gagner (gagnant vs perdant), d’être victorieux (contre le hasard, l’ordinateur, un ou plusieurs joueurs) ou de prendre sa revanche contre un adversaire. (Sauvé et coll. 2007)

Le jeu sérieux possède les caractéristiques d’un jeu (rétroaction rapide des succès, sentiment d’accomplissement, sentiment d’engagement, réalisation d’équipe, implication héroïque et état psychologique optimal ou flow ), mais présenté sous un format numérique et vidéo. Pour qu’il soit « sérieux », le jeu vidéo doit viser à transmettre un message, qu’il soit pédagogique, informatif ou marketing, en reprenant les codes des jeux vidéo classiques. Lorsqu’il est utilisé dans le cadre d’un module d’enseignement donné pour effectuer une révision, pour appliquer le contenu du cours ou pour présenter un nouveau concept qui fera plus tard l’objet d’une discussion en classe, il devient un jeu sérieux éducatif.

Ce que nous dit la recherche

LES JEUX SÉRIEUX OFFRENT PLUSIEURS AVANTAGES SUR LE PLAN PÉDAGOGIQUE

jeu sérieux

  • La mise à l’épreuve de stratégies de résolution de problèmes pour en vérifier l’efficacité (Sauvé et coll. 2007).
  • La coopération et la communication favorisées par des scénarios où plusieurs joueurs doivent travailler ensemble à l’accomplissement d’une mission (Sauvé et coll. 2007).
  • Une augmentation significative de la motivation et l’acquisition d’habiletés cognitives et psychomotrices ainsi que d’attitudes positives (Sauvé et coll. 2005).
  • La structuration des connaissances en ce qui a trait à l’assimilation d’informations lors de l’apprentissage (Sauvé et coll. 2007).
  • Le développement de stratégies et de capacités à prendre des décisions, à comprendre un problème et à poser des hypothèses de solutions (Lauer, 2003; Welsh, 2003 et Gee, 2003)
  • Des encouragements fréquents au joueur-étudiant, par exemple lorsqu’il réussit une mission ou en amassant des points, augmente la confiance en soi chez le joueur et un sentiment de satisfaction (Hostetter et Madison, 2002).

Comment?

CONDITIONS DE SUCCÈS D’UN JEU SÉRIEUX

Choisir un jeu sérieux

Pour parvenir à concevoir ou choisir un jeu sérieux favorable à l’apprentissage et suscitant l’intérêt des étudiants, on peut se référer aux conditions de succès telles que proposées par McGonigal (2011). Cette chercheure s’inspire des conditions qui amènent le sentiment de flow, tel que décrit par Malone (1980) :

  • Le jeu doit être structuré de façon à augmenter ou diminuer la difficulté des défis rencontrés par le joueur pour adapter constamment les défis à la progression de ses habiletés ;
  • Le jeu doit créer une perception d’immersion, en limitant les stimuli extérieurs qui pourraient interférer avec l’implication du joueur ;
  • Les critères de performance doivent être clairs ;
  • Le jeu doit donner une rétroaction concrète et constante au joueur pour qu’il sache s’il atteint ou non la performance attendue ;
  • Le jeu doit offrir une grande variété de situations et de défis pour permettre au joueur d’obtenir des informations de plus en plus détaillées sur ses propres forces et éléments à travailler.
 
Concevoir un jeu sérieux
  • Pour une production qui démarre à zéro, les coûts en ressources humaines et technologiques peuvent être importants. Pensons notamment à la necessité d’implication et de collaboration d’une équipe d’experts issus de divers champs de compétences : graphisme, programmation, conception musicale, structuration du jeu, expertise de contenu et design pédagogique (Loisier, 2015).
  • Pour réduire les coûts en temps et en équipement, le projet SAGE a conçu un ensemble de « maquettes » de jeux en ligne que les enseignants universitaires peuvent facilement personnaliser selon les besoins de leur programme.

 

Utiliser un jeu sérieux

Une fois un jeu sérieux choisi ou créé, Julien Bugmanss (Loisier, 2015) propose trois recommandations pour l’utilisation de ce dernier en contexte d’enseignement-apprentissage :

  • Utiliser de manière répétitive des jeux sérieux pour accroître les apprentissages.
  • Compléter l’utilisation des jeux sérieux avec d’autres techniques pédagogiques.
  • Favoriser les jeux sérieux impliquant plus d’un joueur pour encourager l’interaction entre ces étudiants.

 

Finalement… Selon les études scientifiques citées par McGonigal (2011), ce qui amène le bonheur est le sentiment du travail bien fait. Et selon McGonigal, un joueur ne fuit pas la réalité dans le jeu vidéo : il va plutôt chercher le bonheur que la réalité ne parvient pas à lui offrir. Est-ce que, en ce sens, le jeu vidéo serait une façon d’atteindre le bonheur? Est-ce le jeu vidéo sérieux serait une nouvelle façon de rendre l’apprentissage amusant?

Références

Gee, J-P. (2003). What Video Games Have to Teach us About Learning and Literacy. New York: Palgrave Macmillan.

Hostetter, O. et Madison, J. (2002). Video games - The necessity of incorporating video games as part of constructivist learning. Harrisonburg, VA: James Madison University Department of Educational Technology.

Lauer, T.E. (2003). Conceptualizing Ecology: A Learning Cycle Approach. American Biology Teacher, 65(7), 518-22.

Loisier, L. (2015). Étude sur l’apport des jeux sérieux pour la formation à distance au canada francophone. Réseau d’enseignement francophone à distance du Canada (REFAD).

Malone, T (1980). What Makes Things Fun to Learn? A Study of Intrinsically Motivating Computer Games. Palo Alto: Xerox.

McGonigal, J. (2011). Reality Is Broken: Why Games Make Us Better and How They Can Change the World, Brilliance Audio.

Sauvé, L., Renaud L., et Gauvin M. (2007). Une analyse des écrits sur les impacts du jeu sur l’apprentissage. Revue des sciences de l'éducation, 33(1), 89-107. https://doi.org/10.7202/016190ar 

Sauvé, L., Renaud, L., Kaufman, D., Samson, D., Bluteau-Doré, V., Dumais, C., Bujold, P., Kaszap, M. et Isabelle, C. (2005). Revue systématique des écrits (1998-2004) sur les fondements conceptuels du jeu, de la simulation et du jeu de simulation. Québec : SAGE/SAVIE

Welsh, M.J. (2003). Organic Functional Group Playing Card Deck. Journal of Chemical Education, 80(4), 426-27.

Pour en savoir plus

D'autres questions à explorer

  • Quel est l’impact réel du jeu sérieux dans l’apprentissage?
  • Est-ce que les jeux sérieux représentent un risque de développement de pathologie?

Notice biographique

Pascal Forget (Ph.D.) est professeur au Département de génie industriel de l’Université du Québec à Trois-Rivières depuis 2010. Il enseigne aux étudiants de baccalauréat et de maîtrise en génie industriel, particulièrement la recherche opérationnelle, la planification des opérations et la productique. Ses intérêts de recherche portent sur la gestion de la performance et l'amélioration de l'efficience dans les organisations publiques, particulièrement en éducation et en culture.

Mentions de responsabilité

Cette capsule est une production de la Direction du soutien aux études et des bibliothèques (DSEB) en collaboration avec le Groupe d’intervention et d’innovation pédagogique (GRIIP)

Comité éditorial : François Guillemette, Céline Leblanc, Caroline Lessard, Marie-Michèle Lemieux et Lucie Charbonneau

Coordination : Marie-Michèle Lemieux

Rédaction : Pascal Forget

Correction : Isabelle Brochu et Dominique Papin

Mots-clés