Le numérique en pédagogie universitaire : du constat d’efficacité à l’adoption

Le numérique est majoritairement perçu comme un moteur de changement des pratiques d’enseignement. Dans cette perspective, l’intégration du numérique en pédagogie universitaire a suscité un grand nombre d’études visant à en mesurer l’impact sur l’enseignement et l’apprentissage. Bien que moins étudiée, un autre enjeu pour que le numérique remplisse ses promesses est qu’il soit adopté de façon durable par une masse critique d’enseignants universitaires. À la lumière de ce double enjeu (enjeu d’efficacité, enjeu d’adoption), ce texte souhaite poser un regard critique sur les possibilités du numérique en pédagogie universitaire et les conditions nécessaires à leur actualisation. 

Mise en situation

Paul est un enseignant universitaire chevronné. Il est toujours à la recherche de nouvelles pratiques pour motiver ses étudiants et mieux les soutenir dans les apprentissages à réaliser. Il entend régulièrement parler de ressources numériques qui pourraient être intéressantes pour ses cours. D’ailleurs les innovations impliquant le numérique (désormais, « innovations numériques ») à l’université se succèdent à un rythme de plus en plus rapide.

Ainsi, les massive open online courses (MOOC), le Bring Your Own Device (byod), le learning analytics, l’adaptive learning, ou encore la réalité augmentée ne sont que quelques exemples d’innovations numériques récentes en pédagogie universitaire. Paul a suivi quelques formations au sujet des technologies. Cependant, intégrer le numérique dans ses activités pédagogiques reste laborieux. Beaucoup d’enseignants universitaires sont dans la situation de Paul.

Souhaitant se tenir loin des solutions simplistes, ce texte propose de jeter un regard sur l’état actuel de l’intégration du numérique en pédagogie universitaire et sur quelques initiatives possibles pour la soutenir.

Pourquoi?

CINQ RAISONS POUR ADOPTER LE NUMÉRIQUE EN PÉDAGOGIE UNIVERSITAIRE

  1. Le numérique comprend une mine d’informations. Il peut contribuer à enrichir le contenu des cours si l’enseignant et les apprenants disposent des compétences nécessaires.
  2. Le numérique peut permettre, s’il est bien utilisé, de favoriser une pédagogie active avec les étudiants, notamment en jouant sur l’interactivité des contenus numériques et les multiples possibilités d’interactions entre eux, avec l’enseignant et au-delà des murs de la salle de classe (p. ex., interactions avec des professionnels).
  3. Le numérique peut contribuer à la différenciation pédagogique, notamment auprès des étudiants ayant des besoins particuliers (p. ex., en enregistrant le contenu d’un cours de manière à ce qu’ils puissent le réécouter ultérieurement ; en ajoutant des supports visuels; etc.).
  4. Le numérique permet d’offrir des modalités spatiotemporelles variées qui permettent de faire la classe autrement : le numérique permet de diversifier le « ici - maintenant », notamment par la formation à distance ou hybride. Il en résulte une explosion des possibilités spatiotemporelles de formation, qui contribuent à répondre à deux enjeux fondamentaux en pédagogie universitaire : d’une part, la conciliation famille-travail-étude ; d’autre part, la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur.
  5. Le numérique est non seulement présent dans le quotidien universitaire des étudiants, mais il correspond aussi à une exigence croissante sur le marché du travail. Adopter le numérique dès l’université permet aux étudiants de développer des compétences qu’ils pourraient réinvestir dans leur cheminement socioprofessionnel ultérieur, notamment à l’heure de l’apprentissage tout au long de la vie.

Quoi?

UNE DÉFINITION POSSIBLE DU NUMÉRIQUE EN PÉDAGOGIE UNIVERSITAIRE

L’évolution actuelle du numérique se caractérise par une convergence des moyens de stockage, de traitement et de transmission de l’information autour d’internet, et, simultanément, d’une diversification de leurs terminaux (p. ex., ordinateur fixe, ordinateur portable, cellulaire, tablette, etc.) (Basque et al., 2002 ; Selwyn, 2004). En pédagogie universitaire, le numérique renvoie à la capacité qu’ont les enseignants et les apprenants à en faire usage pour soutenir leurs enseignements et leurs apprentissages, donc à leurs compétences technopédagogiques.

Ce que nous dit la recherche

Le numérique est perçu comme un des principaux moteurs de l’innovation en pédagogie universitaire (Albero, 2011; de Ketele, 2010; Paquay, 1985). Il fait l’objet d’investissements financiers, matériels et humains considérables (Edmunds et al., 2012), dont la motivation principale est d’améliorer la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage, de sorte que c’est principalement sous l’angle de l’efficacité qu’il est appréhendé. Sans négliger l’importance de se pencher sur la question de l’efficacité du numérique, une condition essentielle pour qu’il contribue à améliorer la pédagogie universitaire est qu’il soit adopté par une masse critique d’enseignants et d’apprenants, de façon à « faire la différence ». Dit autrement, « une technologie, même si elle est jugée efficace pour l’enseignement et l’apprentissage universitaire, voit sa pertinence pédagogique réduite si elle n’est, au final, adoptée que par une poignée d’enseignants » (Collin et al., à paraître). Or, le taux d’adoption du numérique (sans même parler d’innovation) est disparate parmi les enseignants universitaires et seule une minorité d’entre eux les utilisent de manière substantielle (Gueudet, 2015 ; Cubeles et Riu, 2016). Aussi, en interrogeant le numérique en pédagogie universitaire, il s’agit de s’intéresser autant à son efficacité qu’à son adoption par le corps enseignant, sans quoi son potentiel présumé a peu de chance de devenir effectif.

Numérique
Dinosoft Labs from the Noun Project

 

Comment?

SOUTENIR L’INTÉGRATION DU NUMÉRIQUE EN PÉDAGOGIE UNIVERSITAIRE

Pour intégrer le numérique dans sa pratique d’enseignement, un enseignant doit, entre autres, être capable, d’une part, de repérer les ressources numériques pertinentes (« pertinentes » signifiant ici, accessibles dans l’environnement technologique du cours et adaptées à la situation pédagogique : étudiants, objet d’enseignement); d’autre part, de savoir comment l’intégrer à la situation pédagogique, c’est-à-dire, comment l’utiliser sur le plan technique, quand la faire intervenir et quel rôle lui attribuer sur le plan pédagogique. Les recommandations qui suivent sont donc orientées principalement autour de ces deux enjeux.

  1. Repérer des ressources numériques pédagogiquement pertinentes: un des principaux obstacles à l’intégration du numérique en pédagogie universitaire est le manque de temps dont disposent les enseignants. Ce faisant, rester informé des nouvelles ressources numériques est ardu pour une majorité d’entre eux. Pour se tenir au courant des innovations numériques, il est possible de suivre des personnes ou des groupes actifs dans le domaine du numérique en pédagogie universitaire, notamment via Twitter ou Facebook ou par l’abonnement à un fil RSS. L’avantage est double: d’une part, l’information qui y est véhiculée est sélectionnée par la communauté, qui agit comme un « filtre social »; d’autre part, l’information est amenée jusqu’à l’enseignant, plutôt que l’inverse.
  2. Intégrer progressivement le numérique dans son enseignement: le numérique est souvent sujet à des discours simplistes et jovialistes qui promettent un changement substantiel et facile des pratiques d’enseignement et d’apprentissage. Au contraire, l’intégration durable du numérique en pédagogie universitaire est un phénomène complexe qui exige du temps, des efforts, et des essaie-erreurs. Il est donc important d’intégrer progressivement le numérique dans ses pratiques d’enseignement, de tolérer l’incertitude et de se donner le droit à l’erreur en se donnant des objectifs réalistes et cohérents avec les contraintes technologiques et pédagogiques environnantes.
  3. S’engager dans des réseaux informels d’intérêt : complémentairement à la participation à des formations instituonnelles, l’appartenance à des réseaux informels d’intérêt peut contribuer, à sa mesure, à alimenter la dynamique de formation continue aux compétences technopédagogiques. Disponibles notamment sur Facebook ou Twitter, les réseaux d’intérêt ont l’avantage d’être accessibles en tout temps et de laisser à la discrétion de chacun sa fréquence et son degré de participation.

 

Finalement… l’intégration du numérique en pédagogique universitaire n’a rien de magique. Il peut contribuer à améliorer l’enseignement et l’apprentissage en pédagogie universitaire à condition que les enseignants soient préalablement enclins à changer de pratique. Aussi, avant même d’intégrer le numérique, la question pour tout enseignant universitaire est de savoir ce qu’il souhaite changer dans ses pratiques, et de choisir les ressources numériques en conséquence.

Références

Albero, B. (2011). Le couplage entre pédagogie et technologies à l’université : cultures d’action et paradigmes de recherche. Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire, 8(1-2), 11-21. https://doi.org/10.7202/1005779ar

Basque, J., Dufresne, A., Léonard, M., Lundgren Cayrol, K., Paquette, G. et Prom Tep, S. (2002). Vers un modèle générique de système d’assistance pour le téléapprentissage. Article présenté à 70e Congrès de l’ACFAS, 13-17 mai 2002, Université Laval, Québec, Canada.

Collin, S., Blanchard, A., Pellerin, G., Cordelier, B, et Saffari, H. (à paraître). Les profils d’enseignants universitaires adoptant les technologies : aperçu des disparités à l’œuvre. Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire.

Cubeles, A. et Riu, D. (2016). Teachers' use of technology in the university classroom. Dans José García-Peñalvo, F. (dir.), Proceedings of the Fourth International Conference on Technological Ecosystems for Enhancing Multiculturality (p. 671-676). New York : ACM.

De Ketele, J.-M. (2010). La pédagogie universitaire : un courant en plein développement. Revue française de pédagogie, 172, 5-13.

Edmunds, R., Thorpe, M. et Conole, G. (2012). Student attitudes towards and use of ICT in course study, work and social activity: A technology acceptance model approach. British Journal of Educational Technology, 43(1), 71-84. https://doi.org/10.1111/j.1467-8535.2010.01142.x

Gueudet, G. (2015). Technology and resources use by university teachers. Dans Biehler, R. (dir.), Reinhard Hochmuth, P., Hoyles, H., London, P., Thompson, T. Mathematics in Undergraduate Study Programs: Challenges for Research and for the Dialogue between Mathematics and Didactics of Mathematics (p.39-40). Germany : Oberwolfach. 

Paquay, L. (1985). Les axes paradigmatiques des recherches relatives au développement et à l’évaluation des innovations scolaires. Les sciences de l’éducation pour l’ère nouvelle, 4, 24-36.

Selwyn, N. (2004). Reconsidering political and popular understandings of the digital divide. New Media and Society, 6(3), 341-362. http://doi.org/10.1177/1461444804042519

Pour en savoir plus

  • Ludovia Magazine (ou Ludomag) est un média online concernant le numérique éducatif, l’usage des technologies digitales dans la formation et l’éducation aussi bien dans les établissements d’enseignement du premier degré, du second degré que du supérieur ou l’enseignement universitaire et spécialisé;
  • La mission de Carrefour éducation est de fournir aux enseignants de l'éducation préscolaire et de l'enseignement primaire et secondaire l'accès rapide, efficace et gratuit à des ressources pertinentes et validées pour faciliter et enrichir le développement des compétences des élèves;
  • L'Agence nationale des usages du numérique éducatif est un site Web de référence qui vise la compréhension des enjeux liés à l’évolution des pratiques professionnelles des enseignants dans un contexte numérique;
  • HabiloMédias est un organisme de bienfaisance canadien, sans but lucratif, qui œuvre pour l’éducation aux médias et la littératie numérique. Il a pour objectif de veiller à ce que les enfants et les adolescents développent une pensée critique qui leur permette d’utiliser les médias à titre de citoyens numériques actifs et éclairés;
  • Deux webinaires du GRIIP se sont intéressés à la question du numérique: L'adoption du numérique par les enseignants universitaires: où en est-on? par Simon Collin et À l’ère du numérique, comment favoriser l’engagement des étudiants? par Hamid Nach.

D'autres questions à explorer

  • Quels sont les changements de pratique qu’un enseignant souhaite mettre en œuvre, et quelles ressources numériques peuvent y contribuer ?
  • Comment concilier de façon optimale formation continue aux compétences technopédagogiques et quotidien académique ?

Notices biographiques

Simon Collin est professeur à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Il est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enjeux socioculturels du numérique en éducation et directeur du Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante - Université du Québec (CRIFPE-UQ). Son parcours académique et ses intérêts de recherche portent sur les enjeux socioculturels du numérique en éducation.

Hamid Saffari est doctorant et chargé de cours à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Montréal. Il est également coordonnateur de la Chaire de recherche sur les enjeux socioculturels du numérique en éducation. Ses intérêts de recherche portent sur l’utilisation des technologies dans le domaine de l’éducation, notamment sur l’apprentissage mobile des étudiants universitaires.

Mentions de responsabilité

Cette capsule est une production de la Direction du soutien aux études et des bibliothèques (DSEB) en collaboration avec le Groupe d’intervention et d’innovation pédagogique (GRIIP)

Comité éditorial : François Guillemette, Céline Leblanc, Marie-Michèle Lemieux et Lucie Charbonneau

Coordination : Marie-Michèle Lemieux

Rédaction : Simon Collin et Hamid Saffari

Correction : Isabelle Brochu et Mégane Girard