Le codéveloppement : un outil de formation professionnelle

Elle n’est pas nouvelle l’idée de considérer l’expérience comme objet de formation aux fins de développement professionnel. Le champ de l’andragogie a pris le premier cette orientation par la formation des adultes dans les années 1970. Plus récemment, le concept de l’expérience comme objet de pratiques pédagogiques et de formation a été repris par le socioconstructivisme et " trouve écho dans la valorisation de l’expérience en tant que processus d’apprentissage et de développement autonome de l’apprenant " (Zeitler, Guérin et Barbier 2012).  Le présent Tableau présente une approche de développement professionnel par l’expérience, le codéveloppement, développée par André Champagne et Claude Payette. Bien que l’ouvrage date de 1997, l’approche qui y est présentée est toujours d’actualité et de plus en plus utilisée dans le domaine de la formation à l’enseignement.

Mise en situation

Chaque semaine, Miranda, conseillère pédagogique à l’université, reçoit à son bureau des enseignants* de toutes les disciplines qui ont des questions, des inquiétudes et des commentaires qui se rejoignent à propos de leur enseignement. Ses efforts sont souvent multipliés et elle se dit qu’il serait peut-être pertinent de faire du jumelage. En effet, les problématiques d’ordre pédagogique se recoupent souvent.

L’une de ses collègues conseillère pédagogique partage avec elle son expérience de formation en codéveloppement. Miranda aimerait tenter l’expérience mais, avant de se lancer, elle prend le temps de lire sur le sujet et d’assister à une séance d’un groupe expérimenté qui accepte de l’accueillir.

Elle est emballée et elle décide de faire la promotion de ce type de formation dans son service. Ainsi, auprès du groupe d’enseignants qui ont montré de l’intérêt, elle prend le temps de bien expliquer les enjeux qui entourent un tel type de formation. Une vidéo, des documents et quelques textes leur sont présentés.

Le groupe de codéveloppement démarre! Lors de la première séance, Miranda réexprime ses attentes, le sérieux de la démarche, l’engagement et l’implication nécessaire de chaque participant. Déjà l’un d’eux se propose pour la prochaine séance. Elle fixe avec lui une rencontre de préparation afin de discuter de la présentation et de la démarche et le tout démarre.

Après quelques semaines, Miranda reçoit un appel d’un enseignant d’un autre département qui désire mettre en place un groupe de codéveloppement avec ses collègues...

 

*Le genre masculin utilisé dans ce document désigne aussi bien les femmes que les hommes et n’a pour but que d’alléger le texte

Pourquoi?

CINQ RAISONS DE FORMER DES GROUPES DE CODÉVELOPPEMENT À L’UNIVERSITÉ

  1. Parce que c’est une méthode, un processus rigoureux, qui soutient l’échange de savoirs pratiques dans le but d’améliorer les pratiques ou les compétences dans un champ professionnel donné (Payette et Champagne, 1997).
  2. Parce que le codéveloppement permet au conseiller pédagogique d’être plus efficace dans son travail d’accompagnement.
  3. Parce que le codéveloppement utilise des situations concrètes rencontrées au travail qui visent l’utilisation et le partage des savoirs (pratiques et autres) des praticiens du groupe.
  4. Parce que le concept de l’expérience comme objet de pratiques pédagogiques et de formation « trouve écho dans la valorisation de l’expérience en tant que processus d’apprentissage et de développement autonome de l’apprenant » (Zeitler, Guérin et Barbier, 2012, p. 32).
  5. Parce qu’il peut contribuer à briser l’isolement des enseignants.

Quoi?

UNE DÉFINITION DU CODÉVELOPPEMENT

Le codéveloppement est une approche de développement professionnel qui place un petit groupe de personnes d’un même domaine d’expertise dans une relation d’entraide et d’échanges. Payette et Champagne (1997) présentent « le codéveloppement professionnel » comme une méthode, un processus rigoureux qui soutient l’échange de savoirs pratiques dans le but d’améliorer les pratiques ou les compétences dans un champ professionnel donné. Ces auteurs ont développé une approche de formation qui mise sur le groupe et sur les interactions entre les participants pour favoriser l’amélioration des pratiques professionnelles. En 2011, ils ont créé l’Association québécoise du codéveloppement professionnel, l’AQCP, qui offre différentes ressources pour se former à l’accompagnement d’un groupe de codéveloppement, pour trouver un accompagnateur ou pour créer, dans son organisation, un tel groupe.

Ce que nous dit la recherche

LA PRATIQUE COMME OBJET DE FORMATION

De plus en plus d'initiatives visent le développement de communautés professionnelles, que ce soit par la mise en œuvre de «communautés de pratique », de « communautés d'apprentissage » (Lave et Wenger, 1991) ou de « codéveloppement professionnel » (Payette et Champagne, 1997). Le groupe de codéveloppement professionnel utilise des situations concrètes rencontrées dans son expérience professionnelle (Payette et Champagne, 1997). En d’autres mots, l’un des participants enseignants présente aux autres son problème ou son projet issu de sa pratique. Un animateur assure le bon fonctionnement des étapes de la séance.

Codéveloppement

Comment?

METTRE EN PLACE UN GROUPE DE CODÉVELOPPEMENT

Pour une efficacité maximale, un groupe de codéveloppement se compose de cinq à huit participants et d’un animateur, en l’occurrence, le conseiller pédagogique. À chacune des séances, un participant devient la personne « aidée*». Il présente une situation de sa pratique qui le questionne. La situation peut être un « problème » (une situation vécue antérieurement) ou un « projet » (une situation à vivre dans le futur). Les autres participants deviendront les « aidants » pour cette occasion et l’animateur assurera le bon fonctionnement de la séance.

Des étapes très rigoureuses de fonctionnement du groupe de codéveloppement sont nécessaires, voire capitales, pour que le groupe progresse. La durée d’une consultation est en moyenne de trois heures. Le processus de consultation se structure en six étapes.

  1. Exposé d'un problème ou d'un projet.
  2. Clarification, questions d’information.
  3. Contrat sur le type de consultation.
  4. Réactions, commentaires, suggestions pratiques des aidants.
  5. Synthèse et plan d'action.
  6. Conclusion : évaluation et intégration des apprentissages par chacun des participants.
LE RÔLE DE L’ANIMATEUR : LA PRÉPARATION DE LA SÉANCE

Avant la séance, l’animateur doit guider la personne aidée dans son analyse du sujet choisi. La question centrale qui doit guider la préparation de l’aidée est : Qu’est-ce que je veux exactement? Lors de sa présentation, la personne aidée aura établi des priorités selon des critères personnels d’urgence, d’importance, de plaisir, de douleur, etc., et ce, avec l’aide du conseiller pédagogique.

LE RÔLE DE L’ANIMATEUR : PENDANT LA SÉANCE

Pendant la séance, l’animateur doit demeurer très attentif à ce que les aidants et la personne aidée disent et ne disent pas… En effet, en posant des questions ouvertes, précises, en demandant des exemples, des explications supplémentaires et des précisions, l’animateur permettra à tous d’élargir leur éventail d’hypothèses de perception ou d’action. Il est de mise de rester humble, prudent et sans prétention.

Il est très important, voire essentiel tant pour les participants que pour l’animateur de ne pas se positionner comme expert en pédagogie. En effet, particulièrement pour le conseiller pédagogique, il sera tentant de répondre et de donner tout de go la solution à un problème posé. Il faut faire attention à cette attitude qui risque de détruire l’essence même de cette formation. Il est possible que les participants interpellent l’animateur à ce titre, mais il faut trouver le moment opportun avant de poser une remarque, un commentaire ou de leur renvoyer la question.

LES COMPÉTENCES D’UN BON ANIMATEUR DE GROUPE DE CODÉVELOPPEMENT

L’animation d’un groupe de codéveloppement nécessite certaines habiletés et de l’expérience en relation d’aide. La solidarité et la confiance entre les participants d’un groupe de codéveloppement sont essentielles à son bon fonctionnement. La notion de confidentialité des propos est un thème qui devrait être abordé avec les participants dès la première rencontre et sur lequel il faudra revenir souvent. Aussi, l’animateur veille à l’ordre dans le groupe, au rythme, au respect du thème, etc. Il fait preuve d’empathie, d’écoute active et, bien évidemment, il respecte les idées et les personnes. Il voit à ce que ces règles soient respectées par l’ensemble du groupe et n’hésite pas à intervenir lorsque ce n’est pas le cas. Il sait questionner tout en laissant le groupe répondre. Il peut poser les questions pertinentes pour que la personne aidée complète son contenu, oriente sa demande ou son plan d’action, etc.

Par ce bulletin, nous avons voulu alimenter la réflexion sur les pratiques d’accompagnement du développement pédagogique en contexte universitaire. Le personnel enseignant des universités ne reçoit pas systématiquement de formation en enseignement, mais s’est constitué un savoir d’expériences qui a tout intérêt à être exploité par les services d’aide et de soutien pédagogique. Ces services doivent en tenir compte dans leur offre de formation et l’exploiter comme un des moyens de former à l’enseignement universitaire. Le codéveloppement se présente comme une approche intéressante à cet égard.

*Notons que Payette et Champagne (1997) parlent en termes de « client » et de « consultant », ce qui nous semble peu approprié dans le contexte universitaire.

Références

Lave, J. et Wenger, É. (1991). Situated learning. Legitimate peripheral participation. Cambridge: University of Cambridge Press.

Payette, A. et Champagne, C.(1997). Le groupe de codéveloppement. Québec : Presses de l’Université du Québec.

Zeitler, A,, Guérin, J. et Barbier, J-M. (2012). La construction de l’expérience, Revue Recherche et formation, 70, p.32-46

Pour en savoir plus

D'autres questions à explorer

  • Quelle préparation doit-on offrir aux animateurs d’une séance de codéveloppement?
  • Comment s’assurer de l’engagement de chacun dans un groupe de codéveloppement?
  • Quelle différence peut-on faire entre expérience et compétence et comment s’assurer du transfert de l’un à l’autre?

Notice biographique

Nicole Beaudry est titulaire d’une maîtrise en psychopédagogie et a agi à titre de conseillère pédagogique au Centre de formation en soutien à l’académique (CFSA) à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages portant principalement sur les modèles pédagogiques issus  du courant humaniste.  Elle a été professeure invitée et chargée de cours dans différents établissements universitaires.

Mentions de responsabilité

Cette capsule est une production de la Direction du soutien aux études et des bibliothèques (DSEB) en collaboration avec le Groupe d’intervention et d’innovation pédagogique (GRIIP)

Comité éditorial : François Guillemette, Céline Leblanc, Martine DeGrandpré et Marie-Michèle Lemieux

Coordination : Marie-Michèle Lemieux

Rédaction : Nicole Beaudry

Correction : Isabelle Brochu et Dominique Papin