Dans ce numéro, Luz Elena Hernandez, chargée de cours de l'Université du Québec à Chicoutimi, présente un article qui porte sur la rétroaction interne en contexte universitaire. Elle partage des pratiques pouvant être bénéfiques pour l’apprentissage des personnes étudiantes tout en renforçant l’engagement actif dans la production des rétroactions, grâce à des activités d'auto-évaluation et de comparaison guidées par une démarche préalable.
Mise en situation
Frédérique, professeure en travail social, consacre énormément de temps, pendant le trimestre, à fournir de la rétroaction constructive aux personnes étudiantes. Malgré ses commentaires précis et détaillés, tant à l’oral qu’à l’écrit, sur les travaux et les évaluations, elle constate la récurrence des mêmes erreurs. Elle s’interroge : ses commentaires sont-ils vraiment pris en compte ? Pourtant, la recherche démontre que la rétroaction favorise l'apprentissage, à condition que les personnes étudiantes développent leur capacité à analyser l'information, à comparer leur travail à des références externes et à en expliciter leurs résultats.
Frédérique se questionne : « Comment les responsabiliser davantage pour renforcer leur autonomie et mieux les préparer au marché du travail ? »
Elle effectue alors des recherches sur la métacognition, l’autorégulation, l’utilité de la rétroaction et le développement de l’autonomie des personnes étudiantes. Un webinaire sur la planification d’une démarche de rétroaction interne l’amène à une prise de conscience importante : chaque individu génère sa propre rétroaction, qu’il en soit conscient ou non.
Pour favoriser l’apprentissage en profondeur, elle comprend que l’accompagnement doit être structuré, progressif et centré sur le développement des compétences et des processus, au-delà de l’évaluation du produit. Il est également essentiel d’offrir aux personnes étudiantes de multiples occasions de pratique.
Pourquoi?
Quatre raisons de s’intéresser à la rétroaction interne en contexte universitaire :
Elle favorise l’autonomie éducative (Mottier, Lopez et al., 2021).
Elle aide les personnes étudiantes à développer leur jugement professionnel (Wood et Pitt, 2024).
Elle améliore le processus d’apprentissage des personnes étudiantes sans nécessiter l’ajout constant de commentaires de la part de personnes enseignantes (Nicol, 2020).
Elle permet de passer d’un modèle où les personnes étudiantes sont de simples récepteurs, vers un modèle plus actif exigeant un plus grand engagement de leur part (Molloy et al., 2020).
Quoi?
Qu'est-ce que la rétroaction interne ?
La rétroaction interne repose sur des stratégies de comparaison entre les tâches qui tiennent compte, à la fois, des processus externes (comparaison avec les pairs ou avec d’autres modèles) et internes (comparaison avec leur propre travail) afin d’influencer les états cognitifs des personnes étudiantes (Nicol, 2021). La génération de la rétroaction interne est un processus qui favorise l’apprentissage de l’autorégulation (Butler et Winne, 1995; Nicol et Macfarlane‐Dick, 2006). Dans une stratégie de rétroaction active, l’intégration des commentaires externes en provenance des pairs, des personnes enseignantes ou de différentes sources (sites Web, collègues, etc.) bonifient les apprentissages (Nicol et Macfarlane‐Dick, 2006).
Ce que nous dit la recherche
Ce que nous dit la recherche à propos de la rétroaction interne
La rétroaction interne a fait l'objet d’études dans divers domaines (médecine, entrepreneuriat, éducation, économie). Les résultats de recherche affirment qu’une planification des évaluations visant la comparaison et la réflexion des productions des personnes étudiantes leur permet non seulement d'améliorer des travaux subséquents, mais de développer également des capacités d’auto-évaluation et de bonifier les apprentissages, y compris métacognitifs (Mottier Lopez et al., 2021; Nicol, 2013, 2020).
Un exemple de design itératif pour l’implémentation de rétroaction basée sur la comparaison pratiquée par Nicol et al. (2022) est illustré dans la figure 1.

Figure 1. Design itératif pour l’implémentation de rétroaction basée sur la comparaison (Nicol et al. 2021).
Références
Butler, D. L. et Winne, P. H. (1995). Feedback and Self-Regulated Learning: A Theoretical Synthesis. Review of Educational Research, 65(3), 245-281. https://doi.org/10.3102/00346543065003245
Molloy, E., Boud, D. et Henderson, M. (2020). Developing a learning-centred framework for feedback literacy. Assessment and Evaluation in Higher Education,45(4), 527-540. https://doi.org/10.1080/02602938.2019.1667955
Mottier Lopez, L., Girardet, C. et Naji, T. (2021). L’évaluation continue pour apprendre : enjeux de la pluralité des feedbacks entre pairs dans un cours universitaire. Mesure et évaluation en éducation, 44(2). https://doi.org/10.7202/1090461ar
Nicol, D. et Macfarlane‐Dick, D. (2006). Formative assessment and self‐regulated learning: a model and seven principles of good feedback practice. Studies in Higher Education, 31(2), 199-218. https://doi.org/10.1080/03075070600572090
Nicol, D. (2013). Resituating feedback from the reactive to the proactive. Dans Feedback in Higher and Professional Education (p. 34-49). Routledge
Nicol, D. (2019). Reconceptualising feedback as an internal not an external process. Italian journal of educational research, 71-84.
https://ojs.pensamultimedia.it/index.php/sird/article/view/3270
Nicol, D. (2020). The power of internal feedback: exploiting natural comparison processes. Assessment & Evaluation in Higher Education, 46(5), 756
778. https://doi.org/10.1080/02602938.2020.1823314
Nicol, D. et Selvaretnam, G. (2022). Making internal feedback explicit: harnessing the comparisons students make during two-stage exams. Assessment &
Evaluation in Higher Education, 47(4), 507-522. https://doi.org/10.1080/02602938.2021.1934653
Nicol, D. (2022) "Turning Active Learning into Active Feedback", Introductory Guide from Active Feedback Toolkit. Adam Smith Business School, University of Glasgow. https://doi.org/10.25416/NTR.19929290
Wood, J. et Pitt, E. (2024). Empowering agency through learner-orchestrated self-generated feedback. Assessment & Evaluation in Higher Education, 50(1), 1-17. https://doi.org/10.1080/02602938.2024.2365856
Pour en savoir plus
De Vreugd, L., Jansen, R., van Leeuwen, A. et van der Schaaf, M. (2023). The role of reference frames in learners’ internal feedback generation with a learning analytics dashboard. Studies in Educational Evaluation, 79. https://doi.org/10.1016/j.stueduc.2023.101303
Panadero, E., Lipnevich, A. A. et Broadbent, J. (2019). Turning self-assessment into self-feedback. Dans The impact of feedback in higher education: Improving assessment outcomes for learners (p. 147-161). Springer.
Mottier Lopez, L., Girardet, C. et Naji, T. (2021). L’évaluation continue pour apprendre : enjeux de la pluralité des feedbacks entre pairs dans un cours universitaire. Mesure et évaluation en éducation, 44(2). https://doi.org/10.7202/1090461ar
D'autres questions à explorer
D'autres questions à explorer à propos de la rétroaction interne et sa mise en place à l’université :
- Quelles stratégies utiliser concrètement dans un contexte d'enseignement supérieur pour favoriser la rétroaction interne des personnes étudiantes tout en augmentant leur engagement actif en classe?
- Comment valoriser davantage la rétroaction interne dans les institutions universitaires pour établir une culture plus axée sur la prise en compte de l’environnement scolaire dans le processus d’apprentissage ?
- Quels sont les effets de la mise en place de la rétroaction interne sur la charge de travail des personnes enseignantes et étudiantes ?
Notice biographique

Luz Elena Hernandez est actuellement doctorante en éducation et chargée de cours à l'Université du Québec à Chicoutimi (Canada). Ses travaux de recherche portent sur la rétroaction pour l'apprentissage en enseignement supérieur et plus spécifiquement sur les processus de rétroaction, la rétroaction interne, le développement des compétences et le paradigme en sciences cognitives de l’énaction en éducation et formation. Elle est aussi technopédagogue en organisation. Son blogue : #missioncorpsprofessoral
Mentions de responsabilité
Cette capsule est une production de la Direction du soutien aux études et des bibliothèques (DSEB) en collaboration avec le Groupe d’intervention et d’innovation pédagogique (GRIIP)
Comité éditorial : Alain Huot, Claude Boucher, Naïma Tebourbi, Marie-Ève Gonthier, Geneviève Demers
Coordination : Mélanie Guay
Rédaction : Luz Elena Hernandez
Correction : Isabelle Brochu et Dominique Papin
Comment?
L’autoévaluation effectuée par le biais de différentes sources est un processus naturel intégré à toute démarche d'autorégulation. Dans les faits, le rôle de la personne enseignante est d’offrir des occasions de comparaison en structurant les tâches, en sélectionnant des éléments de comparaison pertinents et en fournissant des instructions précises pour guider les personnes étudiantes dans l’orientation et les résultats de leurs comparaisons.
Planifier des séquences d'étude :
La séquence proposée par deux chercheurs afin de favoriser la rétroaction interne au long du trimestre dans le but que des processus de rétroaction interne soient explicités est la suivante : 1) réaliser un travail 2) effectuer des comparaisons et 3) rendre les résultats de ces comparaisons explicites. Ainsi, la personne étudiante sait qu'elle fait de la rétroaction interne, car elle a acquis de nouvelles connaissances à partir de la comparaison avec différentes sources d’information, information qu'elle n'aurait pas pu obtenir avec des réponses uniquement fournies par la personne enseignante (Nicol et Selvaretnam, 2022).
Transformer l’apprentissage en rétroaction active :
Concevoir des scénarios dans lesquels les personnes étudiantes sont à la fois évaluées, en recevant des rétroactions multiples, et évaluatrices. Cette façon de procéder les amènera à comparer les rétroactions dans la perspective de réguler leur propre travail universitaire et leurs compétences évaluatives (Mottier Lopez et al., 2021). Par exemple, dans un cours en évaluation des apprentissages, les personnes enseignantes ont pensé à la production et à la réception de multiples rétroactions écrites formatives et anonymes entre personnes étudiantes concernant un travail réalisé en petits groupes collaboratifs. Ce type d’évaluation est conçu comme une évaluation pour apprendre, qui combine différentes méthodes d’évaluation.
Expliciter ce qu’on apprend :
Il est également possible de concevoir des scénarios visant la rétroaction interne résultant de la rétroaction externe à partir de l’explicitation. Dans un cours de comptabilité et de finances, les personnes étudiantes ont cherché à résoudre un problème complexe en équipe. Ensuite, elles ont comparé leur travail personnel à une vidéo de la personne enseignante qui fournit des explications à partir d’un organigramme de résolution de problème. Les personnes étudiantes notent ce qu'elles ont appris et perfectionnent leur travail personnel. La personne enseignante suit les apprentissages de ces dernières. Une fois les boucles terminées, elle peut faire un retour en classe ou en individuel basé sur les commentaires des personnes étudiantes en lien avec leurs notes sur leurs apprentissages. Ici, la réponse appropriée au problème, ainsi que la manière dont les personnes étudiantes ont résolu le problème, est d’une grande importance (Nicol, 2022).
Figure 2. Les personnes étudiantes explicitent ce qu’elles apprennent.
Créer de nouvelles connaissances
Nicol (2024) a proposé une évaluation en deux étapes, d’abord un examen individuel suivi d’un examen en équipe. Au terme de l’évaluation en équipe, les personnes étudiantes devaient répondre d'abord individuellement et par la suite, avec leur collègue, à un questionnaire pour expliciter la rétroaction interne générée pendant le travail de groupe. Cette approche a permis de comparer les performances individuelles antérieures aux dialogues et aux résultats d’équipe.
Les informations externes ne deviennent une véritable rétroaction que lorsqu’elles sont assimilées et qu’elles mènent à de nouvelles connaissances. Ainsi, « ce sont les processus de rétroaction internes découlant de ces informations externes qui conduisent à des améliorations sur le plan de la compréhension et de la performance » (Nicol et Selvaretnam, 2022, p. 508).