La rédaction d’articles professionnels comme situation d’apprentissage et d’évaluation au cœur de la formation universitaire

Dans ce numéro, Ugo Collard-Fortin, Élisabeth Boily et Marie-Pierre Baron, respectivement chargé de cours et professeures à l’UQAC, présentent une démarche d’enseignement et d’évaluation universitaire authentique. Ensemble, ils partagent des exemples concrets permettant de mener les personnes étudiantes à la publication d’articles professionnels.  

Mise en situation

Après le trimestre universitaire, Claude, Dominique et Frédérique trouvent particulièrement dommage de ne pas mettre à profit les différents travaux qui ont été produits à l’intérieur de leurs cours et éprouvent des difficultés à rendre signifiantes, aux yeux des personnes étudiantes de premier et de deuxième cycles, les activités pédagogiques qui leur sont proposées.

L’enjeu de les amener à développer des compétences professionnelles fortes les préoccupe beaucoup. Ils aimeraient également que les personnes étudiantes se sentent davantage intégrées à une communauté professionnelle à la fin de leur formation.

En réfléchissant à l’ensemble de ces défis, une idée prometteuse vient à l’esprit de Dominique. En tant que chroniqueur récurrent dans une revue professionnelle, il a l’idée de faire bénéficier de sa tribune à sa classe. Pourquoi ne pas demander aux étudiantes et étudiants d’écrire un article professionnel dans le cadre de son cours ? Après avoir vécu cette expérience ayant mené à la publication d’un article, Dominique en discute avec ses collègues Claude et Frédérique qui se sentent très inspirées par ce projet pédagogique. Les deux collègues emboîtent le pas et s’allient à Dominique pour mettre sur pied un projet de rédaction d’articles professionnels chez les personnes étudiantes.

Pourquoi?

CINQ RAISONS DE S’INTÉRESSER À LA PUBLICATION PROFESSIONNELLE DANS LE CADRE DE LA FORMATION UNIVERSITAIRE

  1. Pour favoriser le développement de compétences professionnelles transversales (p. ex., collaboration, communication, numérique).
  2. Pour initier les personnes étudiantes à la recherche en les amenant à développer des aptitudes en matière de mobilisation des connaissances ayant des retombées dans leur pratique professionnelle.
  3. Pour ajouter un caractère authentique aux travaux universitaires afin d’augmenter la motivation.
  4. Pour modéliser une pratique pédagogique signifiante.
  5. Pour donner du sens aux travaux et renforcer le sentiment d’appartenance envers la profession.
     

Quoi?

RÉDIGER DES ARTICLES PROFESSIONNELS EN FORMATION UNIVERSITAIRE : UNE COMPÉTENCE À SOUTENIR

Le Référentiel de compétences professionnelles : profession enseignante (MEQ, 2020) met de l’avant l’importance de développer les compétences à collaborer, de mobiliser le numérique, ainsi que de maîtriser la langue et les outils de communication. La rédaction d’articles professionnels s’avère donc tout indiquée pour développer, en formation universitaire, ces compétences et permet d’engager les personnes étudiantes dans une situation d’évaluation authentique impliquant des destinataires réels. Le processus de rédaction s’articule autour d’au moins cinq stratégies rédactionnelles qui se déploient de façon itérative : la planification, la mise en texte, la révision, la correction et la diffusion.

Ce que nous dit la recherche

LES STRATÉGIES RÉDACTIONNELLES ARTICULÉES DANS UN PROCESSUS ITÉRATIF

La recherche démontre que les personnes étudiantes universitaires éprouvent des difficultés en écriture (Beaudet et Rey, 2012; Delcambre et Lahanier-Reuter, 2010) et que le passage de l’écrit universitaire à l’écrit professionnel s’avère également complexe (Beaudet et Rey, 2012). Les étapes rédactionnelles apprises dès la formation au secteur jeune sont en fait les mêmes qu'à l'université.

Stratégies rédactionnelles
Les stratégies rédactionnelles
(Adaptée de MÉES, 2017; Rey et Beaudet, 2012)

C’est toutefois une pluralité de situations rédactionnelles variées et plus authentiques qui s'offre aux futures personnes professionnelles en formation universitaire. Compte tenu de ces éléments, il importe d’opter pour des pratiques enseignantes dans lesquelles on accompagne les personnes étudiantes pendant les étapes rédactionnelles, et ce, dans le respect du processus itératif d’écriture (Beaudet et Rey, 2012).

Comment?

LES PHASES DE RÉDACTION MENANT À LA PUBLICATION D’ARTICLES PROFESSIONNELS

Ce projet pédagogique se structure en trois phases, préactive, interactive et postactive (Lenoir et Vanhulle, 2006).

Processus de rédaction
Processus de rédaction d’articles en contexte de formation universitaire
Figure par les auteur·es

Phase préactive

Quelques semaines voire quelques mois avant le début du projet, il est capital de déterminer formellement l’objectif de formation qui doit être atteint aux termes de l’activité de rédaction. Il est suggéré que celui-ci fasse intervenir à la fois des intentions de formation en lien avec les compétences professionnelles importantes à développer (p. ex. les compétences du 21e siècle) et les connaissances issues de la recherche (CIR) qui seront touchées.

Une fois cette réflexion aboutie, il est ensuite essentiel de définir rapidement le « livrable » de publication. Cela implique de répertorier et ensuite de prendre contact avec les revues professionnelles pertinentes afin de négocier un espace de publication. Celles-ci ont généralement des cadres de rédaction qu’il importera de s’approprier et de maintenir tout au long du processus. Il est aussi possible que la revue interpellée ne puisse publier un volume trop important d’articles, ce qui imposera de réfléchir aux modalités et aux critères de sélection qui mèneront à la publication. Diverses tribunes de diffusion numérique (p. ex. blogues professionnels) et organismes de transfert des CIR, qui ont pour mission de rendre accessibles les nouvelles connaissances scientifiques aux communautés, pourraient être intéressés par un apport ponctuel de publications. Ces dernières options permettraient aussi une publication possiblement plus rapide des articles, ce qui pourrait être une option avantageuse à considérer pour des personnes contractuelles dont le mandat s’inscrit à l’intérieur d’un trimestre (p. ex. chargé·es de cours).

Aussi, il est important de réfléchir aux impératifs liés au contexte de formation qui prévaut. La composition des équipes et le temps pouvant être accordé à l’activité sont des exemples d’éléments auxquels il importe de réfléchir a priori, car ceux-ci auront une incidence importante sur le déroulement. Les équipes doivent également choisir le thème de leur article. Lorsque le plan de match est bien attaché, il est temps de mobiliser les personnes étudiantes autour de l’activité.

Phase interactive

En tant qu’enseignants et enseignantes universitaires, notre rôle est d’accompagner les étudiantes et étudiants afin que leurs articles migrent vers un écrit toujours de meilleure qualité. Force est de constater qu’il s’agit d’un exercice pour le moins singulier à l’intérieur de leur parcours de formation et, conséquemment, ceux-ci ont besoin d’un support plus important de la part de l’enseignant·e universitaire. Par exemple, une des activités éprouvées propose des modèles d’articles, ainsi qu’un canevas de rédaction qui est collaborativement complété avec l’enseignant·e universitaire. Pour une autre activité, il est stratégique de former les personnes étudiantes à la recherche documentaire et d’élaborer des cartes conceptuelles.

Aussi, il est privilégié de fournir des rétroactions abondantes lors d’une ou de plusieurs boucles d’évaluation formative. Le processus d’écriture se veut itératif, ce qui implique un va-et-vient pour les personnes étudiantes entre l’écriture et un retour sur l’écriture. D’ailleurs, la qualité des articles est un aspect important à garder en tête pour l’enseignant·e universitaire, car le processus d’arbitrage, qui est généralement une étape inéluctable du processus de publication, ne saurait être indulgent envers des écrits qui n’atteindront pas les standards. Le défi est donc d’allier différentes préoccupations de rédaction et de formation afin de les guider progressivement vers la publication.

Phase postactive

L’enseignant·e universitaire doit pour finir se tourner vers la revue afin d’assurer le suivi du processus de publication et d’informer les personnes étudiantes des avancées. Par expérience, il est possible que cette phase se poursuive au-delà des frontières du trimestre, car les revues professionnelles possèdent des cadences de publication variées. Parmi les actions à poser auprès des personnes étudiantes, il est important que celles-ci soient averties et aient accès à la parution officielle de leur écrit, ceci générant une grande fierté chez elles.

Finalement, cette activité pédagogique fait la démonstration qu’il est tout à fait possible de faire rayonner les savoirs issus d’un contexte de formation universitaire tout en contribuant de manière originale aux formations initiale et continue des personnes professionnelles.

Références

Boily, E. (2022). L’évaluation des compétences en situation authentique. Correspondance. https://correspondance.info/?p=1127   
Delcambre, I., et Lahanier-Reuter, D. (2010). Les littéracies universitaires : Influence des disciplines et du niveau d’étude dans les pratiques de l’écrit. Forumlecture – Littératie dans la recherche et la pratique, 2010(3). https://www.forumlecture.ch/myUploadData/files/2010_3_Delcambre_Lahanie…;
Lenoir, Y. et Vanhulle, S. (2006). Étudier la pratique enseignante dans sa complexité. Une exigence pour la recherche et la formation à l’enseignement. Dans A. Hasni, Y. Lenoir et J. Lebeaume (dir.), La formation à l’enseignement des sciences et des technologies au secondaire. Dans le contexte des réformes par compétences (p. 193-245). Presses de l’Université du Québec.
Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES). (2017). Référentiel en écriture. Gouvernement du Québec.
Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES). (2019). Cadre de référence de la compétence numérique. Gouvernement du Québec.
Ministère de l’Éducation (MEQ). (2020). Référentiel de compétences : Profession enseignante. Gouvernement du Québec.
Rey, V., et Beaudet, C. (2012). De l’écrit universitaire à l’écrit professionnel : comment favoriser le passage de l’écriture heuristique et scientifique à l’écriture professionnelle ? Scripta, 16(30), 169-193. http://periodicos.pucminas.br/index.php/scripta/article/view/4246  

Pour en savoir plus

Boily, E. et Baron, M.-P. (2023). Mobiliser les savoirs en orthopédagogie à l’université : une expérience formatrice de publication. L’orthopédagogie sous toutes ses facettes, Revue de l’ADOQ.
Leroux, J. L., Hébert, A., et Paquin, J. (2015). Concevoir des tâches d’évaluation en situation authentique. Dans J. L. Leroux (dir.), Évaluer les compétences au collégial et à l’université : un guide pratique. (p. 157-196). Chenelière Éducation.
Samson, G. (2014). Le transfert des apprentissages, tout le monde en parle, mais… Le Tableau, 3 (4). https://pedagogie.uquebec.ca/le-tableau/le-transfert-des-apprentissages…

D'autres questions à explorer

  • Comment transformer des tâches communes de formation (p. ex. examens, réflexions, etc.) en situation d’apprentissage et d’évaluation authentiques ?
  • Comment mettre en place un processus efficace d’accompagnement entre les personnes étudiantes dans le cadre du processus rédactionnel ?
  • Comment développer le réflexe chez les personnes étudiantes, dès la formation universitaire, tant de se référer que de contribuer à la littérature professionnelle et scientifique ?
  • Comment valoriser les travaux des personnes étudiantes réalisés dans le cadre de leur formation universitaire ?

Notices biographiques

Ugo Collard Fortin, M.A. est chargé de cours et superviseur de stage associé au département des sciences de l’éducation de l’UQAC. Ses intérêts en recherche à la maîtrise et au doctorat concernent l’enseignement des sciences/technologie au secondaire, notamment les pratiques d’enseignement mobilisées lors d’activités d’apprentissage en éducation relative en environnement et intégration des sciences et de la technologie.

Élisabeth Boily, Ph. D. est professeure à l’unité d’enseignement en adaptation scolaire et sociale à l’Université du Québec à Chicoutimi. Détentrice d’un doctorat en éducation de l’Université du Québec à Montréal, ses travaux de recherche portent sur le rôle des personnes enseignantes et des orthopédagogues, ainsi que sur leur collaboration, en contexte d’implantation du modèle de réponse à l’intervention en lecture. Élisabeth a réalisé une maîtrise portant sur l’enseignement de la lecture en Afrique subsaharienne. De plus, elle détient une forte expérience pratique, notamment en tant qu’orthopédagogue-conseil au Centre de services scolaire des Rives-du-Saguenay.

Marie-Pierre Baron, Ph. D. est professeure à l’unité d’enseignement en adaptation scolaire et sociale à l’Université du Québec à Chicoutimi. Elle est directrice de la Clinique Universitaire d’Orthopédagogie et de la Revue Hybride de l’Éducation. Elle a développé une expertise quant à l’intervention en ce qui a trait au discours narratif et à la théorie de l’esprit d’élèves ayant des difficultés et/ou des troubles d’apprentissage. Elle s’intéresse également au développement de l’identité professionnelle et des compétences nécessaires à la collaboration interprofessionnelle des futurs et futures orthopédagogues en contexte de clinique universitaire.

Mentions de responsabilité

Cette capsule est une production de la Direction du soutien aux études et des bibliothèques (DSEB) en collaboration avec le Groupe d’intervention et d’innovation pédagogique (GRIIP)
Comité éditorial : Marie-Christine Dion, Isabelle Gallard, Marie-Eve Gonthier, Alain Huot, Céline Leblanc, Brigitte Pilon
Coordination : Marie-Michèle Lemieux
Rédaction : Ugo Collard Fortin, Élisabeth Boily et Marie-Pierre Baron
Correction : Isabelle Brochu et Dominique Papin