Évaluer, une compétence qui rime avec "éthique"

Comme l'évaluation n'est pas toujours synonyme d'objectivité, il importe de s'outiller adéquatement afin de s'en approcher le plus possible. Par ce numéro sur l'évaluation éthique, Chantal Roussel sensibilise à l'importance de porter un regard sur les pratiques évaluatives en identifiant certains biais qui peuvent être présents et surtout en proposant des outils pour "évaluer" notre évaluation.

Mise en situation

André est chargé de cours à l’Université. Il a demandé une réflexion critique à ses étudiants à propos de La charte des valeurs québécoises, un sujet d’actualité. Ceux-ci doivent débattre de leur point de vue respectif, grâce à une argumentation solide fondée sur différents textes proposés. C’est un travail de fin de session qui compte pour 50 % de la notation globale.

André, qui a une grande expérience en évaluation des apprentissages, sait que des critères peuvent émerger pendant la correction, en particulier lors de la lecture des premières copies. Puisqu’il s’agit d’une rédaction individuelle originale, il ne peut pas prévoir l’ensemble des possibilités, parce que chaque étudiant développe une argumentation qui lui est propre. Le premier objectif de l’enseignant est de valider sa grille en corrigeant les premières copies. Pour ce faire, il prend le temps de lire et de commenter cinq à six travaux sélectionnés au hasard, ce qui lui permet de préciser des éléments de sa grille en considérant le contenu particulier des productions de ses étudiants. André a également pris l’habitude, au fil des ans, de lire deux fois chaque travail remis, ce qui favorise une plus grande objectivité du jugement porté lors de son évaluation.

Pour André, les défis de l’évaluation sont toujours aussi grands, même après plusieurs années de pratique. Il est conscient qu’une part d’arbitraire et d’incertitude plane toujours au moment d’évaluer ses étudiants. Aussi, il sait qu’il est difficile de surmonter les biais qui peuvent altérer son jugement. Pour cette raison, il cherche à améliorer constamment ses stratégies en effectuant des lectures sur le sujet et en suivant des formations sur les pratiques actuelles.

Pourquoi?

CINQ BONNES RAISONS DE RÉFLÉCHIR À LA DIMENSION ÉTHIQUE DE L’ÉVALUATION

  1. L’évaluation « n’est jamais éthiquement neutre » (Jeffrey, 2013, p. 9) et elle constitue l’un des actes les plus complexes de la pratique enseignante.
  2. Les difficultés et les pièges inhérents à l’acte d’évaluer doivent être connus et compris par les enseignants;
  3. L’exercice de son jugement professionnel pour assurer davantage de justice, de justesse et d’équité en évaluation améliore l’efficacité de l’enseignement.
  4. La dimension éthique permet de contrer certaines dérives qui guettent l’évaluation.
  5. L’évaluation, de par sa nature, « ne peut pas être objective » (Hadji, 1999, p. 41) et elle nécessite une autorégulation constante.

Quoi?

L’ÉVALUATION ÉTHIQUE, C’EST D’ABORD POSER UN REGARD SUR SOI ET SUR SES PROPRES PRATIQUES

Une définition de l’évaluation

Il existe de multiples définitions de l’évaluation. Rappelons qu’en termes étymologiques, le mot évaluer provient de « ex-valuere », ce qui signifie « extraire la valeur de » quelque chose. Nous considérons donc que la définition présentée est particulièrement opérationnelle, en plus d’être utilisable dans plusieurs contextes différents. Elle se compose de trois éléments principaux.

Évaluer signifie : recueillir un ensemble d’informations suffisamment pertinentes, valides et fiables et examiner le degré d’adéquation entre cet ensemble d’informations et un ensemble de critères adéquats aux objectifs fixés au départ ou ajustés en cours de route, en vue de prendre une décision. (Roegiers, 2010, p. 52)

Or, pour assurer la valeur de l’évaluation, il convient d’interroger notre éthique en tant que formateur.

Une définition de l’éthique dans l’évaluation : Un enseignant préoccupé par l’éthique dans l’évaluation commence par réfléchir à ses propres pratiques évaluatives. Il les analyse à l’aune des valeurs de justice, d’impartialité, d’équité, de probité, de confidentialité et d’égalité. C’est incontestablement pendant les pratiques d’évaluation que ces valeurs morales sont le plus souvent remises en question.(Jeffrey,2013, p.14)

Ce que nous dit la recherche

L’ACQUISITION DE CONNAISSANCES ET LA FORMATION EN ÉVALUATION ÉTHIQUE PERMETTENT DE CONTRER LES FACTEURS EXTERNES QUI INTERFÈRENT SUR L’ÉVALUATION

(Chbat, 2004; Dury, 2003; Gordon, 1999; Howe et Ménard, 1993; Jacobson, 2001)

évaluation

Comment?

SE DONNER LES MOYENS DE RÉALISER UNE ÉVALUATION « ÉTHIQUEMENT » RESPONSABLE

1. Identifier le contexte de l’évaluation

On doit tenir compte de plusieurs facteurs qui viennent influencer l’évaluation :

  • sévérité ou laxisme de l’évaluateur;
  • valeurs et exigences personnelles;
  • pouvoir et soumission;
  • exigences institutionnelles (ex. : la réussite à tout prix des étudiants, dans certains contextes de formation, peut influencer l’enseignant à « bonifier » le résultat de l’évaluation pour la diplomation par exemple);
  • exigences légales d’intégrité (ex. : fraude et plagiat);
  • etc.
2. Prendre conscience de ses forces, de ses valeurs et de ses défis
  Satisfaisant À améliorer À mettre en place Sans objet
Lors des évaluations des productions de mes étudiants, je pense faire preuve de rigueur.        
Les évaluations fournies dans le cadre de mes cours me semblent en adéquation avec les objectifs visés au départ.        
Je fournis les critères d’évaluation aux étudiants à l’avance afin qu’ils soient en mesure de travailler en tenant compte de ces attentes.        
Je demande aux étudiants de procéder à l’autoévaluation de leurs productions en formulant des questions précises au sujet de la tâche qu’ils réalisent.        
Je signale les réussites et les progrès de mes étudiants afin de rendre compte de leurs forces et de leurs défis.        
J’annote les travaux avec précision en fournissant des pistes d’amélioration.        
Je m’assure que mes rétroactions sont bien comprises des étudiants.        
Je prends en considération les erreurs et les lacunes des étudiants pour ajuster le contenu de mes cours.        
3. Se rapprocher le plus possible de l’objectivité

L’évaluation gagne à être balisée le plus clairement possible. Pour ce faire, les indices repérés dans les productions d’étudiants devraient idéalement s’appuyer sur des observations concrètes, des indicateurs bien ciblés de la performance à laquelle on s’attend. Pour ce faire, on utilise des termes spécifiques et descriptifs de la performance. L’évaluation est ressentie par l’apprenant « […] comme… un jugement. Comme tout jugement, celui-ci doit être formulé clairement, motivé sur des bases aussi objectives que possible et donner (si nécessaire) des pistes d’amélioration pour être accepté, assimilé, compris et exploité.» (Milgrom, Mauffette, Raucent, et Verzat, 2010, p. 316)

4. Finalement…

Acquérir un niveau élevé de conscience de ses forces et de ses limites en tant que personne et comme évaluateur, aide à mieux encadrer sa tâche évaluative. L’enjeu, comme le mentionne Rey (2010), réside dans les moyens déployés pour échapper à l’arbitraire et de favoriser les conditions de jugement le plus exact et juste possibles pour l’étudiant.

Références

Chbat, J. (2004). Les attitudes et les pratiques pédagogiques du collégial : rapport de recherche. Montréal : Collège André-Grasset.

Dury, C. (2003). Une approche par les compétences pour l'apprentissage des soins infirmiers : analyse des pratiques des enseignants. Recherche en soins infirmiers, 73, 4-40.

Gordon, H. R. D. (1999). Influence of Selected Variables on the Use of Different Assessment Methods as Perceived by Secondary Vocational Education Teachers. Présenté à Annual Eastern Educational Research Association Conference, Hilton Head, South Carolina.

Hadji, C. (1999). L'évaluation démystifiée. Paris : ESF.

Howe, R. et Ménard, L. (1993). Croyances et pratiques en évaluation des apprentissages. Montréal : Collège Montmorency.

Jacobson, A. B. (2001). Involvement of faculty in higher education assessment practices. University of South Dakota, South Dakota.

Jeffrey, D. (2013). L'éthique dans l'évaluation scolaire. Québec : Presses de l'Université Laval.

Milgrom, E., Mauffette, Y., Raucent, B. et Verzat, C. (2010). Pas d'accompagnement sans évaluation - pas d'évaluation sans accompagnement. Dans B. Raucent, C. Verzat et L. Villeneuve (dir.), Accompagner des étudiants. Quels rôles pour l'enseignant? Quels dispositifs? Quelles mises en oeuvre? (pp. 313-340). Bruxelles : De Boeck.

Rey, B. (2010). Quelques aspects éthiques de l’évaluation. Dans Baillat, G., De Ketele, J.-M., Paquay, L. et C.Thélot (dir.), Évaluer pour former Outils dispositifs et acteurs. (57-67).Bruxelles : De Boeck.

Roegiers, X. (2010). L'école et l'évaluation. Des situations complexes pour évaluer les acquis des élèves (2ᵉ éd.). Bruxelles : De Boeck.

Pour en savoir plus

D'autres questions à explorer

  • Comment puis-je faire preuve d’impartialité lorsque j’évalue?
  • Comment puis-je offrir aux étudiants une rétroaction constructive, juste et rigoureuse?
  • Quels moyens sont à ma disposition dans mon établissement d’enseignement pour me supporter dans la tâche d’évaluation?

Notice biographique

Chantal Roussel est professeure à l’Université du Québec à Rimouski.  Elle s’intéresse principalement à l’évaluation des apprentissages dans une approche par compétences.  La formation professionnelle ainsi que la reconnaissance des acquis et des compétences sont des thèmes qui l’animent en tant que chercheure.

Mentions de responsabilité

Cette capsule est une production de la Direction du soutien aux études et des bibliothèques (DSEB) en collaboration avec le Groupe d’intervention et d’innovation pédagogique (GRIIP)

Comité éditorial : François Guillemette, Céline Leblanc, Marie-Michèle Lemieux, Caroline Lessard et Lucie Charbonneau

Coordination : Marie-Michèle Lemieux

Rédaction : Chantal Roussel

Correction : Isabelle Brochu et Dominique Papin

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