Tenir compte de la « zone proche de développement » des étudiants dans son enseignement

Il revient à l'enseignant de trouver le juste milieu entre le niveau d'activités d'apprentissage trop faciles et trop difficiles pour permettre aux étudiants de développer leurs compétences. Cette "zone proche de développement" doit aussi être conjugée avec le juste soutien nécessaire à apporter aux étudiants afin d'assurer leur motivation et leur réussite. Les auteurs de ce tableau explicitent ce concept et proposent des pistes pour intégrer cette "zone" aux pratiques pédagogiques. 

Mise en situation

Frédéric, enseignant universitaire en mathématiques, veut amener ses étudiants à un niveau de compétence élevé sans faire de compromis avec les exigences du programme dans lequel est situé son cours.

Certains étudiants de la cohorte précédente lui ont fait remarquer que, lors des démonstrations en classe, le processus de résolution de problème semblait relativement simple mais que, une fois seuls à la maison, ils n’arrivaient pas à résoudre les problèmes complexes.

Frédéric se demande comment aider les étudiants à progresser dans leurs apprentissages pour leur donner les moyens de réussir des problèmes complexes.

Sa collègue Catherine lui suggère de commencer par faire vivre une réussite aux étudiants en les accompagnant pour la réalisation d’une tâche plutôt simple. Ainsi, ils prendront conscience de ce qu’ils savent déjà et de ce qu’ils sont capables de faire. Aussi, Catherine explique qu’elle retire son aide à mesure que les étudiants progressent dans la réussite d’une tâche d’un certain niveau de difficulté et qu’elle ajoute du soutien à mesure qu’elle leur offre des défis plus difficiles à réussir.

Frédéric se sent conforté dans sa volonté d’aider les étudiants en respectant la nécessité d’une progression dans les exigences.

Pourquoi?

CINQ RAISONS DE TENIR COMPTE DE LA ZONE PROCHE DE DÉVELOPPEMENT (ZPD)

(Chaiklin, 2009; Vergnaud, 2000; Vygotski, 1997).
  1. Guide la préparation des cours et des activités.
  2. Permet d’ajuster les stratégies d’enseignement et d’apprentissage en fonction de l’avancement des étudiants dans leurs connaissances et leurs compétences.
  3. Favorise les expériences de réussite qui contribuent à l’engagement et à la motivation des étudiants dans leur processus d’apprentissage.
  4. Permet d’augmenter les exigences progressivement pour que les étudiants réussissent des apprentissages de plus en plus difficiles.
  5. Sert de repère afin de doser l’aide à offrir aux étudiants pour ensuite la retirer progressivement afin qu’ils soient de plus en plus autonomes dans leurs apprentissages.

Quoi?

LA ZONE PROCHE DE DÉVELOPPEMENT EST UNE ZONE DE RÉUSSITE ACTUELLE OU POTENTIELLE

Ce concept a été proposé par le psychologue russe Lev Vygotski (1997). On le trouve en français sous différentes appellations telles que zone proximale de développement ou zone de développement prochain. La ZPD correspond à l’apprentissage possible que peut effectuer l’étudiant à un moment précis. C’est une zone de « potentiel » réaliste. Cette zone est propre à chaque apprenant, mais on peut concevoir qu’un groupe ait aussi sa ZPD. Plus l’apprenant avance dans sa zone, plus il apprend, mais plus il a besoin d’aide pour ne pas vivre un échec qui le sortirait de sa zone. Lorsque l’apprentissage se situe au début de la zone, l’étudiant réussit seul ou avec peu d’aide, ce qui augmente la perception qu’il a de sa propre compétence et lui apporte la confiance nécessaire pour relever des défis plus grands (Bandura, 1997). Lorsque l’étudiant, avec de l’aide, réussit une tâche plus difficile (qui est plus avancée dans sa zone) et qu’il la réussit plus d’une fois, cette tâche devient plus facile pour lui et il peut relever des défis plus exigeants qui se situaient auparavant au-delà de sa ZPD. Ainsi, la ZPD se déplace sur la ligne du développement de l’étudiant et l’apprentissage progresse.

Ce que nous dit la recherche

IL IMPORTE D’ADAPTER LE SOUTIEN À L’ÉTUDIANT EN TENANT COMPTE DE LA ZPD

La ZPD se situe entre deux points sur la ligne du développement progressif. Le point A correspond au degré de développement actuel et le point B correspond au plus grand développement possible pour l’étudiant dans un avenir très proche (Vergnaud, 2000).

Au tout début de la zone, se situent les tâches d’apprentissage que l’apprenant peut réussir sans soutien. Plus on avance sur la ligne du développement, plus la tâche est difficile et plus le soutien devient nécessaire pour réussir la tâche.

zpd

Comment?

TENIR COMPTE DE LA ZONE PROCHE DE DÉVELOPPEMENT ET FAIRE PROGRESSER LES APPRENANTS

Le rôle de l’enseignant

L’enseignant a la responsabilité de maintenir les étudiants dans leur ZPD. Lorsque l’étudiant doit réaliser une tâche qui se situe en-deçà de sa zone, cette tâche est trop facile et, donc, il n’apprend pas. De même, lorsque l’étudiant doit réaliser une tâche qui se situe au-delà de sa ZPD, cette tâche est trop difficile et mène l’étudiant à l’échec. Donc, il n’apprend pas. Tenir compte de la ZPD, c’est d’abord s’abstenir de proposer des tâches d’apprentissage trop faciles ou trop difficiles.

La progression des étudiants est favorisée par une certaine progression dans l’intervention de l’enseignant. On peut théoriquement découper cette progression en différentes étapes :

  1. L’enseignant donne une tâche plutôt facile sans qu’elle le soit trop. Ainsi, il fait vivre une expérience de réussite qui augmente la confiance des étudiants en leurs capacités à réussir des tâches d’apprentissage d’un certain niveau.
  2. L’enseignant augmente la difficulté des tâches demandées (sans que celles-ci soient trop difficiles), de même que l’aide aux étudiants de façon proportionnelle. Les étudiants peuvent s’entraider.
  3. L’enseignant apporte de l’aide jusqu’à ce que les étudiants réussissent la tâche. L’aide consiste essentiellement à expliquer la tâche, à faire de la pratique guidée en enseignant des stratégies d’amélioration des processus d’apprentissage et des stratégies de correction des erreurs, et à accompagner la pratique autonome des étudiants.
  4. L’enseignant fait expérimenter la réussite plusieurs fois en donnant des tâches différentes mais de même niveau d’exigence et tout en retirant progressivement son aide. Ainsi, les étudiants expérimentent leurs capacités à réussir la tâche de manière autonome et avec une facilité de plus en plus grande.
  5. Lorsque la tâche devient facile, l’enseignant donne une tâche plus difficile et augmente son aide en conséquence. Dès lors, c’est la ZPD de l’étudiant qui se déplace en avançant vers des tâches de plus en plus exigeantes, ouvrant ainsi des possibilités de développement supérieur, c’est-à-dire des défis qui auparavant auraient mené à un échec mais qui, ici, vont mener à une réussite.

 

Une aide autonomisante

L’aide est souvent d’abord une forme d’hétéronomie dans le sens que l’étudiant en est dépendant pour réussir. Mais si cette aide est apportée dans une perspective d’autonomisation, c’est-à-dire pour que l’étudiant réussisse lui-même la tâche, celui-ci va intégrer l’aide en développant ses propres stratégies de sorte qu’il n’aura plus besoin de cette aide extérieure. Ainsi, on peut dire que favoriser l’apprentissage, c’est favoriser un processus qui fait passer de la dépendance à l’autonomie (Vergnaud, 2000).

L’intervention de l’enseignant est donc autonomisante. Il apporte l’aide nécessaire sans réaliser la tâche à la place de l’étudiant. Par ailleurs, il ne considère pas que l’autonomie soit un préalable à l’apprentissage, mais plutôt une conséquence de celuici. En d’autres mots, l’enseignant n’abandonne pas les étudiants, mais les aide à ne plus avoir besoin d’aide, à apprendre par eux-mêmes (Chaiklin, 2009).

« Le rôle de l’éducateur, comme on l’a dit souvent, n’est-il pas, par définition, de devenir inutile, dès lors qu’il a permis au jeune de gérer sa propre autonomie. » (Barlow, 1999, p.4)

Références

Bandura, A. (1997). Self-efficacy. The Exercise of Control. New York : Freeman.

Barlow, M. (1999). Le métier d'enseignant. Paris : Economica.

Chaiklin, S. (2009). La place de la Zone de développement proximal dans l'analyse des apprentissages et de l'enseignement chez Vygotski. Dans A. Kozulin, B. Gindis, V. Ageyev, & S. Miller (dir.), Vygotski et l'éducation. Apprentissages, développement et contextes culturels (pp. 33-57). Paris : Retz.

Vergnaud, G. (2000). Lev Vygotski. Pédagogue et penseur de notre temps. Paris : Hachette Éducation.

Vygotski, L. S. (1997). Pensée et Langage. Paris : La Dispute.

Pour en savoir plus

  • L’Université du Québec à Trois-Rivières propose une vidéo intitulée « Partage d’expertise en pédagogie. Favoriser l’apprentissage : la zone proche de développement ».
  • Brossard, M. & Fijalkow, J. (Éds.). (1998). Apprendre à l'école : perspectives piagétiennes et vygotskiennes. Talence : Presses Universitaires de Bordeaux.
  • Davydov, V. V. (1995). The influence of L.S. Vygotsky on education theory, resarch, and practice. Educational Researcher, 24(3), 12- 21.
  • McCaslin Rohrkemper, M. (1989). Selfregulated learning and academic achievement: a Vygotskian view. Dans Zimmerman, B. J. & Schunk, D. H. (Éds.), Self-regulated learning and academic achievement (pp. 143-167). New York : Springer.
  • Van Der Veer, R. & Valsiner, J. (1991). Understanding Vygotsky: A quest for synthesis. Cambridge, MA : Blackwell.
  • Activité pédagogique sur la ZPD présentée par Philippe Meirieu.

D'autres questions à explorer

  • En tant qu’enseignant, comment s’assurer d’établir un portrait juste de la ZPD des étudiants?
  • Comment situer la ZPD d’un groupe d’étudiants?
  • Quoi faire pour que les étudiants qui se situent en-deçà ou au-delà de la zone proche de développement de l’ensemble du groupe réalisent des apprentissages?
  • Quoi faire pour maintenir les étudiants dans la perception qu’ils sont capables de relever des défis difficiles ?

Notices biographiques

Katia Renaud est professionnelle de recherche en pédagogie de l'enseignement supérieur à l'Université du Québec à Trois-Rivières. Elle collabore à de nombreux projets en lien avec la pédagogie de l'enseignement supérieur, notamment dans le développement et l’animation d’ateliers de pédagogie offerts dans différentes institutions collégiales et universitaires au Québec et ailleurs dans le monde. Elle travaille en collaboration avec le Bureau de pédagogie et de formation à distance de l'UQTR, avec le Bureau des relations internationales de l’UQTR et avec le vice-décanat du Campus Mauricie de la Faculté de médecine de l'Université de Montréal. Ses intérêts de recherche sont en lien avec le développement des compétences en pédagogie de l'enseignement supérieur et l'approche par compétences.

François Guillemette est professeur au Département des sciences de l’éducation à l’Université du Québec à Trois-Rivières et adjoint pédagogique au vice-décanat du Campus Mauricie de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. À l'UQTR, il est codirecteur du Centre Interdisciplinaire de Perfectionnement Pédagogique et de Recherche en Enseignement Supérieur (CIPPRES), professeur responsable du programme d'accompagnement pédagogique des nouveaux professeurs, responsable de la communauté de pratique en pédagogie universitaire et responsable du mentorat interdisciplinaire en pédagogie universitaire. Docteur en éducation et docteur en théologie, ses projets de recherche en cours portent notamment sur le développement des compétences professionnelles en enseignement supérieur, sur l’utilisation de la méthodologie de la théorisation enracinée par les chercheurs francophones et sur la communication avec des personnes en situation de handicap. Il est aussi codirecteur de la revue "Approches inductives".

Après plusieurs années d’enseignement, Céline Leblanc a entrepris une carrière de conseillère pédagogique en technologie éducative à l’Université du Québec à Trois-Rivières où elle travaille depuis 2008. Dans le cadre de ses fonctions, elle s’intéresse particulièrement à la pédagogie en enseignement supérieur en présentiel. Entre autres, elle coordonne les activités pédagogiques et technopédagogiques offertes à l’UQTR et collabore à la communauté de pratique en pédagogie universitaire ainsi qu’à la formation des nouveaux professeurs et des nouveaux chargés de cours de son établissement.

Mentions de responsabilité

Cette capsule est une production de la Direction du soutien aux études et des bibliothèques (DSEB) en collaboration avec le Groupe d’intervention et d’innovation pédagogique (GRIIP)

Comité éditorial : Alain Huot, Caroline Lessard, Marie-Michèle Lemieux et Lucie Charbonneau

Coordination : Marie-Michèle Lemieux

Rédaction : Katia Renaud, Francois Guillemette et Céline Leblanc

Correction : Isabelle Brochu et Dominique Papin