Le codéveloppement chez les étudiants : une approche pédagogique de réflexion-action pour soutenir le développement des compétences professionnelles

En mobilisant une approche pédagogique basée sur la réflexion-action, Marie-Josée St-Pierre, doctorante et chargée de cours au Département d’ergothérapie à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), montre comment le codéveloppement chez les étudiants permet de soutenir le développement de leurs compétences professionnelles.

Mise en situation

Plusieurs professionnels travaillent dans des contextes complexes. Pour fonctionner dans cet environnement, des compétences reliées au jugement doivent être mobilisées. À l’instar des travaux de Schön (1994) qui perçoit la pratique réflexive comme une voie essentielle au développement professionnel, les écrits en ergothérapie et d’autres disciplines proposent plusieurs outils, utilisés pour permettre aux étudiants de réfléchir dans et sur l’action. Pour soutenir les étudiants lors de leur formation clinique au programme d’ergothérapie de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), une approche pédagogique novatrice de réflexion-action a été mise sur pied (3 rencontres de 3 heures durant les 2 mois d’un stage de fin de baccalauréat, juste avant le début de la maîtrise). Il s’agit d’un groupe de codéveloppement professionnel (GCDP) inspiré des travaux de Payette et Champagne (1997). La conception de ce type d’accompagnement suppose que chaque étudiant accepte de partager des questionnements et des difficultés rattachés à son expérience de stage, de s’inscrire dans une dynamique de changement facilitée par la confrontation des points de vue et de mettre à disposition sa propre expertise au service des autres membres.

Pourquoi?

Cinq raisons d’utiliser le codéveloppement lors des stages

  1. La pratique réflexive contribue au raisonnement clinique en ergothérapie (Bannigan et Moores,2009). Le GCDP permettrait de favoriser le développement de la pensée professionnelle et laconstruction du savoir pratique chez les ergothérapeutes en formation professionnalisante. Letravail sur l’identité professionnelle est au coeur du codéveloppement;
  2. Selon Daniels (2010), les interactions avec les pairs durant le stage apporteraient du soutien etcontribueraient positivement à l’apprentissage. De plus, développer des habitudes de collaborationet de partage des connaissances entre différents membres d’une même communautéprofessionnelle demeure crucial;
  3. Le fait de trouver des pistes de solutions en aidant ses collègues dans la compréhension etl’amélioration de leur pratique favoriserait les apprentissages individuels et collectifs autant denature cognitive qu’émotionnelle (Payette et Champagne, 1997);
  4. Ce type de groupe permet d’approfondir les enjeux d’une situation défi en dépassant l’utilisationd’une résolution individuelle de problème;
  5. Le fait de s’inscrire dans une dynamique de changement facilitée par la confrontation des points devue permet de mieux comprendre la situation.

Quoi?

Groupes de codéveloppement professionnels (GCDP)

Payette et Champagne (1997) définissent le GCDP comme « une approche de formation qui mise sur le groupe et sur les interactions entre les participants pour favoriser l’atteinte de l’objectif fondamental : améliorer la pratique professionnelle ». Ce type de groupe d’apprentissage-action peut aussi devenir un groupe de soutien pour les coups durs et les périodes difficiles, un groupe de référence, un groupe d’entraide, un groupe d’échange de savoirs pratiques, un groupe qui élargit le réseau en créant des liens avec d’autres personnes et d’autres organisations. Payette et Champagne (2010) déclarent qu’il s’agit d’apprentissages, mais également de perfectionnement en vue d’une meilleure maîtrise de l’agir professionnel.

Ce que nous dit la recherche

L’encadrement de la réflexivité lors des stages

Selon la revue systématique de Mann, Gordon et MacLeod (2009), la réflexivité est un outil qui facilite l’autorégulation et l’intégration des nouveaux apprentissages. La supervision et l’accompagnement sont essentiels pour développer cette pratique réflexive chez les étudiants puisqu’ils ont besoin d’encadrement dans une structure bien définie.

Comment?

L’animateur propose un cadre pertinent et crédible en dégageant un but commun de travail et de réflexion. La consultation constitue le coeur du processus de chacune des rencontres. L’un après l’autre, les participants prennent le rôle du client et exposent un aspect pratique de leurs stages qu’ils veulent améliorer. Les autres agissent comme consultants pour aider ce client à enrichir sa compréhension de la situation. Les échanges du groupe sont structurés par un processus de consultation en quatre moments d’apprentissage et six étapes de consultation (voir l’illustration et les explications détaillées).

 

Cycle d'apprentissage

 

Moment d’apprentissage A : Expérience du client/étudiant

ÉTAPE 0 Préparation

Dresser une liste de situations vécues durant le stage et faire le choix de la situation qui sera discutée lors de la rencontre. Ensuite, dégager les principaux éléments de la situation en faisant les liens entre eux. Décrire la situation de façon détaillée.

Moment d’apprentissage B : Observations et réflexions

Expliquer brièvement la situation (environ 1 minute par participant) pour que tous aient une bonne idée des situations afin de faire un vote pour le choix de la situation retenue lors de cette séance (chaque participant doit choisir une seule situation).

ÉTAPE 1 (5-10 minutes)

Le client expose; les consultants écoutent et prennent des notes.

ÉTAPE 2 (10 minutes)

Les consultants formulent des questions d’information, le client répond et précise. À cette étape, il faut recadrer les éléments de perception. Il faut s’en tenir aux faits et il faut demander aux gens de reformuler s’il y a des éléments subjectifs ou des commentaires personnels dans la façon de poser leurs questions.

ÉTAPE 3 (5-10 minutes)

Le client définit le contrat de consultation que l’animateur reformule pour vérifier la compréhension de tous. À cette étape, il est important de préciser les attentes du client afin de s’assurer qu’à la fin du processus, les consultants ont répondu à celles-ci et non à leurs propres attentes.

ÉTAPE 4 (20-30 minutes au total)

Les consultants réagissent : ils partagent leurs impressions, commentaires, idées et suggestions. Les consultants apportent un éclairage nouveau sur la situation et le client écoute, ne discute pas et prend des notes. Le client doit garder le recul nécessaire pour percevoir sa situation de façon différente. Il peut intervenir à la demande des consultants s’ils ont besoin d’une information qui modifierait la réflexion et l’analyse.

Moment d’apprentissage C : Généralisation et intégration

ÉTAPE 4 (suite, selon le temps restant)

À cette étape, on utilise un tableau que l’on sépare en 2 sections : analyse et solutions. L’animateur écrit les informations à l’endroit correspondant en s’assurant de valider celles-ci. L’animateur est aussi consultant. Donc, sans trop prendre de place, il peut aussi apporter sa compréhension de la situation et des pistes de solutions, s’il sent que cela aiderait la discussion.

Moment d’apprentissage D : Intégration des apprentissages

ÉTAPE 5 (10 minutes)

Le client assimile l’information, indique ce qu’il retient et conçoit un plan d’action. Le client donne ses commentaires sur la partie analyse (coups de coeur, éclairage nouveau, etc.). Par la suite, il identifie les solutions à préconiser. Il détermine un plan d’action très précis parce qu’habituellement à la rencontre suivante, au début de la séance, on lui demande des nouvelles.

ÉTAPE 6 (10-15 minutes)

Le client et les consultants décrivent leurs apprentissages. Tous s’expriment sur ce qu’ils retiennent de cette expérience et sur la transposition possible pour leur propre situation. Par la suite, une nouvelle situation est réalisée en suivant la même procédure.

Pour terminer…

Tout au long de la démarche, il est important de dire qu’il n’y a pas de mauvais commentaires même si l'on n’est pas d’accord avec l’autre. On peut « faire du pouce » sur l’idée de l’autre, mais il faut respecter l’expertise de chacun. Finalement, il ne faut pas négliger l’aspect volontariat qui est prédominant dans cette approche. Puisque la situation d’apprentissage est obligatoire, il faut donc s’assurer que les étudiants sont motivés à collaborer entre eux, ouverts et aspirent à perfectionner leur pratique professionnelle.

Références

Bannigan, K. et Moores, A. (2009). A model of professional thinking: Integrating reflective practice and evidence based practice. Canadian Journal of Occupational Therapy, 76(5), 342-350. https://doi.org/10.1177/000841740907600505

Daniels, N. (2010). Peer interactions and their benefits during occupational therapy practice placement education. British Journal of Occupational Therapy, 73(1), 21-28. https://doi.org/10.4276/030802210X12629548272664

Mann, K., Gordon, J. et MacLeod, A. (2009). Reflection and reflective practice in health professions education: a systematic review. Advances in health sciences education, 14(4), 595-621. https://doi.org/10.1007/s10459-007-9090-2 

Payette, A. et Champagne, C. (1997, 2010). Le groupe de codéveloppement professionnel. Québec : Presses de l'Université du Québec.

Schön, D. A. (1994). Le praticien réflexif – À la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel. Traduit et adapté par J. Heynemand et D. Gagnon, Montréal : Les Éditions Logiques.

Pour en savoir plus

D'autres questions à explorer

  • Quelles autres stratégies pédagogiques visant la collaboration entre pairs peuvent être mises en place afin d’aider au développement de la pensée critique et des compétences de réflexion?
  • Est-ce possible d’intégrer d’autres principes théoriques à la démarche de réflexion, par exemple l’entretien d’explicitation?
  • Comment s’assurer de la pérennité d’une telle approche?
  • Comment s’assurer du transfert de cette pratique à la suite de la formation initiale?
  • Comment s’assurer de maintenir l’intérêt des participants à la réflexion collective pour leur développement professionnel?
  • Comment la mise en place d’un tel groupe au sein d’un programme d’intervention, dont le mandat principal est de former de futurs intervenants, peut-elle influencer la transdisciplinarité?

Notice biographique

Marie-Josée St-Pierre est chargée de cours au Département d’ergothérapie de l'Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) depuis 2008. Elle enseigne également au Collège Laflèche en éducation spécialisée depuis 2002. Détentrice d’un baccalauréat en ergothérapie et d’une maîtrise en pratiques de réadaptation, elle a travaillé durant 20 ans au programme de santé mentale du CHRTR (maintenant le CIUSSS). Elle est actuellement la coordonnatrice clinique d'un programme transdisciplinaire spécialisé dans les troubles du comportement alimentaire à l'UQTR. Elle poursuit également des études doctorales en sciences biomédicales sur ce même sujet. Elle s'est intéressée au codéveloppement lors de sa maîtrise et de sa scolarité doctorale en sciences de l'éducation et a implanté une telle structure pour la formation clinique en ergothérapie.

Mentions de responsabilité

Cette capsule est une production de la Direction du soutien aux études et des bibliothèques (DSEB) en collaboration avec le Groupe d’intervention et d’innovation pédagogique (GRIIP)
Comité éditorial : Claude Boucher, François Guillemette, Alain Huot, Céline Leblanc et Chantal Roussel
Coordination : Karine Vieux-Fort
Rédaction : Marie-Josée St-Pierre
Correction : Isabelle Brochu et Dominique Papin