La collaboration au profit du développement des compétences informationnelles

Le développement des compétences informationnelles, au même titre que toute autre compétence dite transférable ou transversale, soulève certains défis dans le contexte d’enseignement universitaire. À qui en revient la responsabilité et quelles pratiques doit-on mettre de l’avant pour en assurer le développement?  Au terme du projet de recherche Qualité des pratiques de développement des compétences informationnelles au sein du réseau de l'Université du Québec, les auteurs proposent de développer une approche véritablement collaborative pour favoriser le développement des compétences informationnelles des étudiants universitaires. 

Mise en situation

Elliot enseigne au baccalauréat en sciences infirmières. Dans le cadre d’un cours de recherche, se situant à mi-parcours du programme, il reçoit plusieurs étudiants qui lui mentionnent avoir choisi un sujet sur lequel on ne retrouve pas d’articles. Par contre, lorsqu’Elliot effectue luimême une recherche rapide en présence des étudiants, une foule d’articles apparaissent à l’écran. La première réaction des étudiants est de dire « comment avez-vous fait? ».

Stupéfait, Elliot questionne les étudiants sur leurs stratégies de recherche d’articles et d’évaluation de leur pertinence. Il réalise que, malgré les formations suivies en début de baccalauréat sur la recherche documentaire, ses étudiants ne possèdent toujours pas les compétences informationnelles requises pour effectuer leurs recherches bibliographiques. Il questionne alors les autres enseignants du programme pour réaliser que, non seulement le problème est vécu chez la plupart des étudiants, mais que chaque enseignant intervient isolément et de manière non coordonnée dans l’enseignement des compétences informationnelles. Ensemble, les enseignants décident donc de discuter de la question à la prochaine réunion départementale. Ils suggèrent d’inviter les intervenants des autres services impliqués, notamment les bibliothécaires, afin de mieux préciser le problème et d’initier une pratique collaborative pour intervenir plus efficacement dans le développement des compétences informationnelles chez les étudiants.

Pourquoi?

CINQ RAISONS POUR METTRE EN PLACE UNE PRATIQUE COLLABORATIVE EN MATIÈRE DE DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES INFORMATIONNELLES

  1. Les approches actuelles en matière de développement des compétences informationnelles n’ont pas produit les effets attendus (Kennel, 2016; Langevin et Gagnon, 2005 ; Mittermeyer et Quirion, 2003).
  2. L’instauration d’une véritable pratique collaborative responsabilise et valorise le rôle de chacun des intervenants dans le développement des compétences informationnelles (Bélanger, Boisvert, Lemieux et Séguin, 2017).
  3. Cette pratique collaborative permet de développer une réelle relation d’interdépendance (Little, 1990) entre bibliothécaires et enseignants universitaires (Atkins et Frierichs, 2002).
  4. Cette collaboration favorise l’adoption d’un cadre commun de référence définissant les finalités recherchées (Little, 1990) en matière de pratiques de développement des compétences informationnelles.
  5. L’instauration d’une pratique collaborative permet de faire évoluer les approches actuelles vers des interventions véritablement interdisciplinaires et davantage coordonnées en fonction des effets recherchés en matière de développement des compétences informationnelles (Bélanger et al. 2017).

Quoi?

LA COLLABORATION

Il existe plusieurs niveaux précisant le type de relation interprofessionnelle établie au sein d’une équipe de travail : la communication, la coopération, la coordination et la collaboration (Bélanger et al., 2017). Piquet (2009) précise que la différence fondamentale entre un travail coopératif [généralement observé en matière de pratiques de développement des compétences informationnelles] et un travail véritablement collaboratif réside dans le degré d’interdépendance atteint entre des acteurs dont l’action collective est orientée vers une finalité commune. La collaboration véritable se caractérise donc par l’établissement d’un haut degré d’interdépendance entre les acteurs impliqués dans la résolution de problèmes complexes, et ce, sur la base de l’adoption d’un cadre commun de référence, d’un partage d’expertises, de ressources et de responsabilités (Little, 1990).

Ce que nous dit la recherche

DISTINCTION ENTRE UNE « BONNE RELATION » ET UNE VÉRITABLE COLLABORATION

L’intégration des travaux de Levan (2016), de Little (1990) et de Piquet (2009) permet de distinguer clairement chacun des niveaux précisant le type de relation établie au sein d’une équipe de travail et ainsi de réaliser qu’entretenir de bonnes relations ne suffit pas pour établir une véritable collaboration.

Collaboration

Comment?

DÉVELOPPER LA COLLABORATION EN MATIÈRE DE COMPÉTENCES INFORMATIONNELLES

Le développement des compétences informationnelles repose sur l’intervention de multiples acteurs dont les enseignants universitaires, les bibliothécaires, les différents services impliqués (Centres d’aide à la réussite, Services aux étudiants, Décanats, etc.) et les étudiants eux-mêmes. L’instauration d’une véritable collaboration repose d’abord sur la modification de nos pratiques actuelles, généralement effectuées en vase clos et de manière ponctuelle, vers l’instauration d’une approche interdisciplinaire coordonnée et axée sur les besoins réels des étudiants. Pour y parvenir, il importe de réunir l’ensemble des intervenants impliqués dans le développement des compétences informationnelles dans la mise en œuvre des quatre phases du cycle de la collaboration proposé par Levan (2016) : la co-analyse, la co-définition, la co-réalisation et la co-évaluation.

  1. La co-analyse : cette phase permet à l’ensemble des intervenants d’établir un diagnostic sur la situation actuelle. Le succès de cette analyse dépend de la prise en compte des différentes perspectives et besoins de chacun des acteurs impliqués.
  2. La co-définition : cette phase permet à l’ensemble des acteurs impliqués de définir les objectifs à poursuivre dans la mise en œuvre des interventions visant le développement des compétences informationnelles.
  3. La co-réalisation : il s’agit ici de la mise en œuvre concrète des interventions planifiées selon les responsabilités attribuées à chaque type d’acteur impliqué.
  4. La co-évaluation : cette phase permet à l’ensemble des acteurs impliqués de poser un jugement sur les interventions mises en œuvre, et ce, en fonction des résultats obtenus.

L’instauration cyclique de ces quatre phases devrait permettre à l’ensemble des acteurs de développer graduellement une véritable relation d’interdépendance dans laquelle l’expertise de chacun est valorisée et intégrée dans une approche coordonnée. L’ensemble de ces quatre phases pourraient avantageusement s’intégrer dans la conception et la mise en œuvre d’un véritable programme visant le développement des compétences informationnelles. Il est à noter que plusieurs initiatives peuvent s’inscrire dans cette perspective, mais il s’avère actuellement difficile de citer en exemple un projet dans lequel un tel niveau d’interdépendance est atteint entre les intervenants.

Finalement, il se dégage de l’analyse des pratiques actuelles que le succès dans le développement des compétences informationnelles chez les étudiants universitaires ne peut s’obtenir par les efforts déployés par un seul acteur. À cet effet, l’instauration du cycle de la collaboration de Levan (2016) représente une piste intéressante dans l’atteinte d’un véritable travail collaboratif chez les intervenants impliqués dans le développement des compétences informationnelles des étudiants universitaires. Le principal défi dans l’établissement d’un tel degré de collaboration réside donc dans la motivation des différents acteurs à s’impliquer activement dans le développement d’une véritable relation d’interdépendance. Enfin, il importe de noter que cette approche pourrait s’étendre dans les pratiques visant l’ensemble des compétences transversales et disciplinaires que les étudiants doivent développer à l’université

Références

Atkins, P., & Frerichs, C.E. (2002). Planning and implementing a teaching workshop for librarians. College & Undergraduate Libraries, 9(2), 5-20. https://doi.org/10.1300/J106v09n02_02

Beaumont, C., Lavoie, J., & Couture, C. (2010). Les pratiques collaboratives en milieu scolaire: cadre de référence pour soutenir la formation. Centre de recherche et d’intervention sur la réussite scolaire (CRIRES). Université Laval, Québec.

Bélanger, G., Boisvert, D., Lemieux, M.-M., & Séguin, C. (2017). Qualité des pratiques de développement des compétences informationnelles au sein du réseau de l'Université du Québec [Rapport de recherche]. Québec, Québec: Université du Québec. 

Kennel, S. (2016). Le rôle des équipes pédagogiques dans l'acquisition des compétences transversales des étudiants : le cas de littératie informationnelle. Communication présentée au 29ème Congrès de l'Association Internationale de Pédagogie Universitaire (AIPU), Lausanne, Suisse, du 6 au 9 juin 2016.

Langevin, L., & Gagnon, C. (2005). La formation des formateurs aux compétences informationnelles. Rapport de recherche dans le cadre du projet sur les compétences informationnelles de l’UQ. Québec, Québec: Réseau de l’Université du Québec.

Levan, S.K. (2016). Ce que travail collaboratif veut dire...

Little, J.W. (1990). The persistence of privacy: autonomy and initiative in teacher’s professional relations. Teachers college record, 91(4), 509-536.

Mittermeyer, D., & Quirion, D. (2003). Étude sur les connaissances en recherche documentaire des étudiants entrant au 1er cycle dans les universités québécoises : le rapport. 

Piquet, A. (2009). Guide pratique du travail collaboratif: Théories, méthodes, et outils au service de la collaboration. Brest, France: Telecom Bretagne.

Pour en savoir plus

Le groupe de travail de la Promotion du développement des compétences informationnelles du réseau de l’Université du Québec (GT-PDCI) propose les ressources suivantes :

D'autres questions à explorer

  • Comment motiver les différents acteurs à s’impliquer dans une véritable relation d’interdépendance ?
  • Comment peut-on évaluer la qualité des pratiques de collaboration?
  • Comment les outils numériques collaboratifs pourraient soutenir l’instauration d’une véritable collaboration ?

Notices biographiques

Guy Bélanger est professeur associé à l’Université du Québec à Rimouski. Il est titulaire d’un doctorat en administration de la santé de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. La mesure et l’évaluation de la qualité des soins et des services de santé dans une perspective d’amélioration continue constitue son principal domaine d’expertise. Depuis une vingtaine d’années, il œuvre dans la validation et le développement d’instruments de mesure de la qualité des soins et des services de santé (courte durée, longue durée, ambulatoires, soins et services à domicile, utilisation de la contention et de l’isolement). M. Bélanger a été responsable du projet Boîte à outils technopédagogiques en sciences infirmières qui consiste en un recueil d’outils spécialisés dans le développement des compétences informationnelles des étudiants de premier et de deuxième cycles en sciences infirmières. 

Marie-Michèle Lemieux occupe la fonction de professionnelle de recherche pour la Direction du soutien aux études et des bibliothèques à l’Université du Québec. Elle soutient, coordonne et participe à divers projets relatifs à la pédagogie universitaire, ainsi qu’au développement des compétences informationnelles des étudiants du réseau de l’Université du Québec. Diplômée de l’UQAR dans les programmes de baccalauréat et de maitrise en sciences de l’éducation, elle amorce actuellement des études doctorales dans le même domaine d’études. Mme Lemieux a assumé la coordination du projet de recherche Qualité des pratiques de développement des compétences informationnelles au sein du réseau de l'Université du Québec.

 

Mentions de responsabilité

Cette capsule est une production de la Direction du soutien aux études et des bibliothèques (DSEB) en collaboration avec le Groupe d’intervention et d’innovation pédagogique (GRIIP)

Comité éditorial : Mario Dubé, Claude Boucher, Alain Huot et Céline Leblanc

Coordination : Marie-Michèle Lemieux

Rédaction : Guy Bélanger et Marie-Michèle Lemieux

Correction : Isabelle Brochu et Corinne Ducharme